Le Camp des Rouets – Mohon (56)

Le Camp des Rouets – Mohon (56)

Site oublié, comme le sont beaucoup de choses en cette Bretagne Centrale, le Camp des Rouets à MOHON le fût pendant des années, voire des siècles. Cet assemblage de buttes et de fossés a été longtemps considéré comme un voisin gênant par les agriculteurs du voisinage et le remembrement des terres agricoles (commencé à la fin des années 60) aurait pu mettre bon ordre à cet état de fait. La curiosité d’un ancien recteur de Mohon et l’opiniâtreté d’un artisan d’art installé sur la commune allaient en décider autrement : le site sera classé (1975), acquis par le Conseil Général, étudié et sommairement aménagé pour les visites.

Cet assemblage de buttes et de fossés a été longtemps considéré comme un voisin gênant par les agriculteurs du voisinage et le remembrement des terres agricoles (commencé à la fin des années 60) aurait pu mettre bon ordre à cet état de fait. La curiosité d’un ancien recteur de Mohon et l’opiniâtreté d’un artisan d’art installé sur la commune allaient en décider autrement : le site sera classé (1975), acquis par le Conseil Général, étudié et sommairement aménagé pour les visites.

Des fouilles, rapides, ont été effectuées en 1977 et 1978 : elles n’ont pas donné de résultats tangibles. Aucune structure important n’a en effet été mise à jour et le peu de mobilier retrouvé n’est pas contemporain de la construction du camp.

Mais, pour le féru d’Histoire, comme pour l’amateur de paysage à mystère, le site du Camp des Rouëts mérite le détour : il est l’exemple vivant de l’architecture de terre et de bois du Moyen Âge, témoin de la naissance de la Bretagne en tant qu’état féodal.

L’ÉNIGME DES ROUETS.
Signalé dans divers répertoires du XIXème siècle, le Camp des Rouëts a donné lieu à bien des interprétations. La plus courante attribue sa construction aux Romains, il est d’ailleurs signalé comme « camp romain » sur la plupart des cartes routières. Louis Marsille, se référant à un ouvrage de Cayot-Delandre paru en 1847, le cite dans son Répertoire archéologique du Morbihan Gallo-Romain (Vannes. 1972) : « Retranchement, l’un elliptique, l’autre pentagonal, dit Camp des Rouëts à Bodieuc. Au centre du premier, butte conique ? »

L’appellation « Camp des Rouëts » est un fait récent qui n’apparaît pas dans les documents anciens. Le cadastre de 1836 mentionne simplement une parcelle sous le nom de « les Rouets ». Les spécialistes en Toponymie (dont Guy Souillet) donnent 3 hypothèses :

– Toponyme issu du Moyen Breton ROEZ (Clairière)
– Altération de ROHEC (Roche, rocher)
– du Breton ROE (Roi)

Cette dernière origine a davantage plu à certains qui ont fait du Camp des Rouëts une résidence des Rois bretons. Aucun document ne permet pour le moment d’étayer cette hypothèse.

Le nom du village où s’inscrit le site est-il plus explicite ? dans BODIEU (Bodieuc dans une Monstre de 1427, Bodioc dans d’autres textes), nous retrouvons la racine BOD qui signifie demeure, résidence, en vieux Breton. Cette racine est courante dans la région : citons Bodiel en Taupont, Bodeleno sur la commune de Plumieux et à Mohon même, le village de Bodegat où l’on trouve la trace d’une enceinte à talus et fossé réutilisée jusqu’au XVIème siècle (résidence appartenant aux Sévigné à cette époque).

Ces considérations toponymiques nous renseignent finalement assez mal : si le village de Bodieu est mentionné dans les textes en raison de l’existence d’un prieuré important, les ROUETS n’y sont jamais associés.

Les traces d’une occupation humaine ancienne à Mohon sont malgré tout présentes : les récentes découvertes de Maurice GAUTIER, spécialiste d’Archéologie aérienne, nous donnent la preuve d’une utilisation du terroir à l’époque gauloise puis gallo-romaine. La prospection aérienne a ainsi permis de découvrir à quelques mètres du Camp des Rouets les vestiges d’une ferme probablement gauloise. Le mythe de la grande forêt armoricaine se trouve un peu écorné par ces découvertes mais la richesse relative de la terre agricole explique cette occupation précoce.

UN SITE COMPLEXE..

Le Camp des Rouets est décrit ainsi par Arthur de la Borderie (en 1880) :  » il se compose d’une vaste enceinte elliptique contenant environ 5 hectares dont le grand axe est dirigé au sud, bordé par une douve de 4 à 5 mètres de largeur et de 5 à 6 mètres de profondeur. Au centre de cette ellipse s’élève une motte ou butte artificielle, cône tronqué fortement réduit dans sa hauteur (environ 7 mètres) pour établir au sommet un espace de 30 à 35 mètres de diamètre. De plus, cette enceinte elliptique est armée à son extrémité sud d’une sorte de bastion, c’est à dire d’une autre enceinte de forme pentagonale, beaucoup plus petite puisqu’elle tient seulement un demi-hectare mais beaucoup mieux défendue par un retranchement quelque peu affaissé qui a encore 7 à 8 mètres de hauteur précédé d’un énorme fossé profond de 10 mètres, large de 15 mètres et même par endroit de 20 à 22 mètres. Forteresse très importante qui n’a rien de romain, elle a du être édifié entre l’époque gallo-romaine et l’époque féodale, dans l’âge breton primitif. »

La description de la Borderie reste d’actualité et l’on distingue toujours deux parties dans la fortification :

– la PETITE ENCEINTE, entourée de talus et fossés, partie la plus impressionnante que la Borderie appelle le « bastion »,

– la GRANDE ENCEINTE dont les défenses, moins importantes, ont davantage souffert de l’aménagement postérieur du site. Les photos aériennes montrent en effet très bien que le village de Bodieu s’est implanté sur la partie nord-ouest de cette grande enceinte. Il y a donc eu destruction partielle du site mais, paradoxalement, les habitations ont été construites sur le schéma primitif de la construction. De même, l’ancien cadastre montre que la disposition des parcelles et l’implantation des chemins creux respectent cette forme circulaire de la grande enceinte. C’est dans cette partie que l’on trouve la MOTTE FÉODALE.

Cette technique de fortification n’est pas nouvelle : bien plus tôt, en 500 avant notre ère et jusqu’à la Guerre des Gaules, les peuplades armoricaines de l’Âge du Fer édifient leur s habitations au sommet ou sur la pente d’une colline et les entourent d’un fossé et d’un talus. Au moment de l’invasion romaine, les peuplades celtiques construiront de nouveaux plans de ce type ou consolideront les anciens. Des camps circulaires avec talus et fossés existent encore dans la région proche de Mohon (Forêt de Lanouée, Ménéac) et la prospection aérienne du Porhoët, menée depuis 1989, révèle un nombre surprenant de structures à fossés.

Les Vikings édifieront aussi des camps semblables mais suivant un plan beaucoup plus élaboré (voir le Camp de Fyrkat au Danemark).

Un site tel que le Camp des Rouëts correspond au schéma habituel de la fortification de l’époque carolingienne. La petite enceinte est le centre du domaine : le seigneur y demeure dans des constructions souvent sommaires et il loge autour de lui sa suite. On y inclut également tous les bâtiments nécessaires au stockage des vivres. Autour de cette première enceinte se situe la partie vitale de l’exploitation agricole : on y pratique les cultures fragiles et l’on y garde les jeunes animaux. Plus loin, mais toujours à l’abri de la grande enceinte formée de haies et de fossés, se situe l’espace réservé à la culture des céréales et à l’élevage des gros animaux. En cas de besoin, on se replie avec le bétail derrière la petite enceinte qui sera plus facilement défendue.

D’un point de vue strictement technique, les talus du Camp des Rouëts sont entièrement constitués de terre compactée : les différentes méthodes de fouilles n’ont pu montré la trace de palissades en bois, forme de défense communément admise pour des sites de ce type.

VENUS D’OUTRE MANCHE …
Des fortifications de ce genre vont se retrouver sur tout le territoire de l’ancienne Gaule que les Francs envahissent peu à peu. En Bretagne, elles ont une utilité particulière et il est temps d’apporter ici quelques précisions historiques qui expliquent l’existence du Camp des Rouëts.

Si les documents de cette époque sont peu nombreux, on peut néanmoins avoir une certaine idée de la civilisation de cette période par des écrits postérieurs.

Le Vème siècle marque en Bretagne (l’actuelle Angleterre) la fin de la domination romaine. Les Bretons de l’île, bien que touchés par la civilisation latine, vont rapidement retrouver leur identité celte : langue, coutumes, rites religieux, …

La fin de la domination romaine est aussi le point de départ de l’invasion des Pictes, Angles et Saxons qui ne livraient jusque là qu’à des courses de pillage. La résistance bretonne, qui semble assez désordonnée, ne peut empêcher l’installation progressive de ces « barbares ». Aussi, à partir de 450 (et même 350 pour certains historiens), l’émigration vers l’Armorique commence. Bien qu’elle continue pendant tout le VIème siècle, cette émigration semble avoir été assez rapide au début : ainsi, en 461, il est fait mention, au Concile de Tours, d’un évêque des Bretons.

L’Armorique d’alors est peuplée de Gallo-romains qui ne semblent pas, au début, avoir opposé de résistance à l’installation des Bretons. S’agit-il en fait d’une émigration pacifique ou d’une invasion violente? Les avis sont partagés. Un texte de Sidoine Apollinaire (seconde moitié du Vème siècle) fait état de la fuite d’esclaves « débauchés en secret par les Bretons » et qualifie ces derniers de « gens subtils, armés, bruyants, confirmés dans leur obstination par leur courage, leur nombre, le soutien des camarades. »

Dans son poème sur Louis le Pieux, l’écrivain carolingien Ermold le Noir trace une histoire peu glorieuse de l’arrivée des Bretons : « Pauvres en terre, exposés au vent et à la pluie, ces gens cherchaient des champs et de quoi subsister. Or, en ces temps là, quand ils arrivèrent, portés par les flots, le pays était habité par les Gaulois. Mais comme ils avaient reçu l’huile du baptême, ils avaient bientôt été admis à s’étendre et à cultiver la terre. Laissés en paix, ils n’avaient pas tardé à rallumer la guerre et ils se préparaient à envahir à nouveau les campagnes avec leur s soldats. Ils offraient à leurs hôtes la pointe de leur lance au lieu du tribut qu’ils devaient, la guerre pour prix des terres reçues et l’arrogance en échange de la bonté. »

Ces textes sont postérieurs à l’arrivée des Bretons et écrits par des Francs, ce qui leur donne une valeur limitée.

En fait, nous pouvons difficilement définir cette invasion : était-ce l’arrivée d’un peuple en mouvement ou plutôt le débarquement ponctuel de troupes réduites de guerriers audacieux ? Autant de questions pratiquement sans réponse. La première vague qui arrive en Armorique n’est vraisemblablement pas une nuée d’envahisseurs : les premiers Bretons qui s’installent en Armorique trouvent un pays profondément romanisé (réseau dense de Villas, grandes exploitations agricoles) et une vie religieuse élaborée où s’assimilent dieux romains et dieux gaulois. Ils participent à la défense de l’empire et se nomment eux-mêmes « Romains ».

Une deuxième vague d’émigration plus organisée (entre 550 et 570) va amener en Armorique la constitution de royaumes pratiquement indépendants : Domnonée, du Couesnon à l’Aber Vrac’h, Broerec pour le Pays Vannetais et Cornouailles. La carte armoricaine se précise.
Dans les mêmes temps, les Francs s’installent dans le reste de la Gaule. La reconnaissance par les Gallo-romains d’Armorique de l’autorité de Clovis sur leur pays va être à l’origine de heurts incessants entre Francs et Bretons. Les Rois Francs se considèrent comme héritiers de l’organisation romaine en Gaule et veulent, à ce titre, obliger les Bretons à payer tribut. Les Chefs Bretons, eux, se donnent le titre de « ROIS », titre que leur disputent les autorités franques et refusent continuellement de reconnaître la légitimité de la royauté franque en Bretagne.

Poussée franque et poussée bretonne se stabilisent assez mal et justifient l’existence de « marches », formées par les Comtés de Rennes et de Nantes.

UNE GUÉRILLA.
La période du Haut Moyen Âge se passe donc en pillages de la part des Bretons suivis d’expéditions punitives franques qui n’arrêteront jamais l’humeur guerrière de nos ancêtres. Les incursions de Waroc’h, chef du pays vannetais, contre les populations franques sont restées célèbres : il dévaste et pille de temps à autre les Pays de Rennes et de Nantes (déjà apprécié pour sa vigne !). Quand les rois francs réagissent trop violemment, les chefs bretons jurent fidélité et promettent réparation des torts causés. Mais, dès que le risque de représailles s’éloigne, les pillages recommencent. D’ailleurs les chroniques du VIIIème siècle ne cessent de parler de la « perfidie » des Bretons. Ce sentiment de combattre un ennemi dénué de tout scrupule est accentué, pour les Francs, par le fait que les Bretons adoptent à leur égard une tactique de combat qu’ils qualifient de déloyale : il n’y a pas de grandes batailles mais une succession d’escarmouches. La cavalerie bretonne se livre à une guerre de « maquis » : elle tourne autour des fantassins et les obligent à se regrouper pour faire face, immobiles, aux nuées de flèches. Pour les Francs qui connaissent mal le pays, les Bretons sont des ennemis insaisissables et cette méthode de combat explique l’existence de fortifications modestes comme le Camp des Rouëts. La guérilla qu’ils livrent contre les Francs oblige les chefs bretons à se replier souvent dans des camps retranchés, cachés en pleine campagne et qui sont moins destinés à subir un siège qu’à abriter momentanément les pillards et leurs richesses.

A l’intérieur même de la Bretagne, la situation n’est pas toujours plus calme. Entre les chefs bretons, que l’on peut davantage qualifier de chefs de bande que de rois, existent des rivalités sanglantes : assassinats, emprisonnements, pillages, prises d’otages se succèdent pour permettre au plus fort de s’approprier les terres et les biens du plus faible. Il faudra attendre l’arrivée de Nominoë (seconde moitié du IXème siècle) pour voir l’ébauche du véritable royaume breton qui s’étendra d’ailleurs bien au-delà des limites actuelles de la Bretagne.

Mais comment vivait-on dans cette Bretagne du Haut Moyen-Âge ?

Toujours d’après Ermold le Noir, la civilisation bretonne n’est pas des plus raffinée : « cette nation, perfide et insolente, a toujours été rebelle et dénuée de bons sentiments. Traîtresse à sa foi, elle n’est plus chrétienne que de nom car d’œuvres, de culte, de religion, plus de traces. Nul égard pour les enfants ni pour les veuves, ni pour les églises. Le frère et la sœur partagent le même lit, le frère prend l’épouse du frère, tous vivent dans l’inceste et dans le crime. Ils habitent les bois et installent leur couche dans les fourrés. Ils vivent du rapt, semblables à des bêtes sauvages. Chez eux n’existe nul asile pour la justice et les règles du droit sont bannies. »

Si les descriptions des Carolingiens sont exactes, le Camp des Rouëts pourrait donc avoir été le théâtre d’événements savoureux. Les paroles, mises dans la bouche du chef breton Murman par Ermold le Noir, en disent long sur l’architecture bretonne en 818 : « Vous, ma femme, mes enfants, mes vaillants serviteurs, gardez la maison et vos cabanes de feuilles. » A l’abri des fossés et de l’enceinte, le chef breton se construit donc une maison de bois et ses serviteurs se logent autour de lui dans des cabanes de feuillages.

En fait, les traces du monde breton pour cette période ne sont pas nombreuses : peu de trouvailles et, de plus, dispersées sur tout le territoire. L’implantation religieuse est sans doute la mieux conservée : traces de petites chapelles entourées de huttes monacales, quelques stèles avec, parfois, des inscriptions comme PEDIT EVIDOMP (Priez pour nous). Les rares vestiges d’habitations sont ceux de cabanes elliptiques pourvues d’un foyer central. Elles ont été construites en bois avec des piliers axiaux sur des murets de pierres sèches. Cette forme de construction offre bien des similitudes avec les huttes gauloises et préfigure les cabanes de charbonniers qui dureront jusqu’au milieu du XXème siècle dans la forêt de Lanouée. Après la relative richesse des villas gallo-romaines, la construction bretonne semble donc marquer un pas et revenir même à des schémas protohistoriques. Mais ce type d’architecture et le mode de vie qu’il implique est aussi fréquent chez les Francs et autres peuplades barbares qui s’installent en Gaule. Le type d’architecture présent au Camp des Rouëts s’applique à une société vivant pratiquement en autarcie : le maître, sa famille et sa suite, dont les esclaves, produisent tout ce qu’ils consomment (ou, éventuellement, le volent à d’autres). Les routes étant rares et peu sûres, les échanges marchands ne sont pas florissants.

Cette situation va amener la constitution d’une nouvelle société : c’est l’embryon de la société féodale. Avec l’existence de nombreux chefs jaloux de leur pouvoir basé sur la force, la notion d’état, chère aux Romains, tend à disparaître. Les nouveaux rapports sociaux sont des rapports d’homme à homme, de puissant à faible, de protecteur à protégé. Et cela explique l’architecture : le chef, entouré de ses guerriers, s’abrite derrière une enceinte fortifiée et permet à ses paysans de s’y réfugier mais en contrepartie, il leur demande de subvenir à ses besoins.

LA MOTTE CASTRALE
Une architecture adaptée à une société féodale embryonnaire et ancêtre du château fort va apparaître dans tout l’Occident aux alentours de l’An Mil : on lui donne le nom de MOTTE FÉODALE ou MOTTE CASTRALE.

L’étude archéologique des mottes est relativement récente. Ces mottes sont nombreuses en Bretagne et, de plus en plus, collectivités locales et pouvoirs publics prennent conscience de leur importance historique et de la nécessité de les conserver. Nous en présence d’une réserve archéologique précieuse qui viendra éclairer d’un tout autre jour la connaissance livresque que nous avions jusqu »ici du Moyen Âge.
Succinctement, la motte féodale est une butte entourée d’un fossé défensif. Elle est habituellement construite de main d’homme (c’est le cas à Mohon) mais l’on a parfois su tirer avantage des éléments naturels.

La motte est le soubassement d’un donjon, construit le plus souvent en bois, qui sera la demeure du seigneur et également le symbole de sa puissance. C’est de là qu »il contrôle les environs. La motte du Camp des Rouets ne nous a pas livré à ce jour son secret, on ignore donc tout de la construction qu’elle a supportée.

La Tapisserie de Bayeux (XIème siècle) qui est en fait une broderie est un des rares documents imagés qui subsistent concernant les châteaux sur motte : on y voit à la fois sa construction et son usage militaire.

Nous pouvons imaginer que la construction en bois, demeure principale donc est entourée de constructions plus modestes qui lui sont accolées et servent de dépendances. Autour de la motte, élément le mieux défendu, on trouvera une  » basse-cour  » où s’édifieront les bâtisses nécessaires à l’exploitation agricole : granges, étables, ateliers, … cette deuxième partie sera défendue par un talus et des douves, mais en cas de péril, elle sera abandonnée et la défense concentrée autour de la motte.

La motte castrale du Camp des Rouets se situe donc dans la lignée des constructions de ce type parsemées sur toute la Bretagne. Elles sont habituellement construites non loin des grandes voies de communication : ce sont les anciennes voies romaines, toujours en usage. Mohon se situe ainsi au carrefour des routes Vannes-Corseul, Rennes-Quimper et Nantes-Tréguier, poste central donc qui expliquerait sa relative importance.

Faut-il lui donner plus d’importance encore par la mention, dans les textes, de Mohon comme une des résidences du roi Salomon (le 11 février 872, Salomon signe à Mohon la donation à Saint Sauveur de Redon de tous les alleux de Penwas, prêtre à de Pleucadeuc) ? Arthur de la Borderie, l’historien breton déjà cité, s’est ainsi appuyé sur ce fait (consigné dans le Cartulaire de Redon) pour désigner le Camp des Rouets comme résidence des Rois de Bretagne y incluant Judicaël (VIIème siècle). Pourquoi pas ? Signalons tout de même que si le terme de Mohon apparaît sous la plume du moine de Redon, aucun mention de Bodieu ne s’y trouve.

LES VIKINGS
Si l’on accepte le Xème siècle comme date approximative de la construction de la motte castrale des Rouets, on peut dire qu’elle se situe dans une période historique troublée. La tentative d’unification d’un Royaume breton par Nominoë continuée par l’oeuvre de Salomon va être brisée par l’arrivée des Vikings. Le pays est devenu le théâtre de grandes expéditions normandes lancées depuis le bassin de la Loire où ils sont pratiquement installés depuis 850. Pour les Vikings déjà, la Bretagne est une base maritime idéale : les estuaires abrités sont des lieux de mouillage excellents et l’intérieur ne résiste pas, ayant été pratiquement vidé de ses élites civiles et religieuses. Le Royaume franc est lui-même en proie à une crise politique importante.

Nous trouvons dans les Annales de Flodoard, à l’année 919 :  » les Normands ravagent, écrasent et ruinent toute la Bretagne […] les Bretons étant enlevés, vendus et autrement chassés en masse.  » En 921, le Roi des Francs concède la Bretagne aux Normands, ce qui prouve qu’il agit en maître chez nous et qu’il n’existe plus de pouvoir breton.

Les chefs militaires bretons imités par les autorités religieuses ont quitté le navire Armorique pour voguer qui vers l’Angleterre, qui vers les abbayes tranquilles du Royaume Franc. La Chronique de Nantes nous le rapporte :  » les pauvres Bretons, ceux qui cultivent la terre, restèrent sous la coupe des Normands, sans chefs et sans défenseurs.  » Les liens féodaux n’ont pas joué dans le sens du puissant à faible mais est-ce bien la première et la dernière fois ?

Quelques années plus tard cependant, Alain Barbe Torte revient d’Angleterre (936) et écrase les bandes vikings. C’est la fin de l’hégémonie normande et le début du Duché de Bretagne. A travers les siècles, des années de faste et aussi de malheurs, l’histoire du Duché de Bretagne se poursuivra jusqu’à son annexion par la couronne de France (1532).

Le Camp des Rouets est-il la trace d’une résistance aux raids vikings ? Rien ne permet de l’affirmer pas plus que d’y voir les vestiges d’une base normande. Les textes n’existent pas qui pourraient nous permettre d’y suivre l’histoire d’un quelconque seigneur breton qui aurait pu y abriter sa lignée. La question se pose également de savoir se ce camp n’est pas à intégrer dans un système de fortification de campagne lié à l’existence du château de Josselin (Château Tro, première demeure des Comtes de Porhoët n’est pas si loin).

Le Camp des Rouets reste là, témoin muet d’un passé oublié, vestige d’une  » morte Bretagne « . Nous pouvons sans doute attendre des progrès de l’Archéologie. Pour l’heure, il reste à celui qui le visite le sentiment de fouler un sol riche en souvenirs, même si ces souvenirs nous semblent revenir d’un rêve lointain. Cette ignorance que nous en avons doit nous inciter à respecter ce site : qui prendrait plaisir à détériorer un monument qui cache encore ses secrets ?

Pour finir, il nous reste à rassurer les amateurs de trésor puisque trésor il y a, bien sûr ! Ici, tout le monde sait que la barrique d’or se trouve  » là où la roue de la charrette touche le chêne du corbeau « . Il n’est défendu à personne de le chercher … mais avec les yeux. Vous repartirez sans doute les mains vides mais certainement avec la satisfaction d’avoir vu un lieu de mystère et d’avoir pu rêver. Par ces temps de mornes certitudes, un peu de rêve, c’est toujours cela de pris !

Gérard Boulé

Juin 1988. – Jeudi 18 mai 2001.


les chevaux sur la motte castrale …


Il neige parfois sur le Camp des Rouets …

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