Entretien avec GLENMOR (seconde partie)

Entretien avec GLENMOR (seconde partie)

Je voudrais aborder le côté, non pas chrétien, mais plutôt « christinanique » qui apparait dans nombre de tes chansons, également dans tes livres …

Bien sûr ! Cela aussi fait partie des mythes auxquels on fait référence pour être compris. Lorsqu’un auteur fait appel à des mythe comme Dieu, le paradis … c’est parce que les gens le comprennent. Si tu veux parler d’une idée abstraite sans faire référence à des mythes, les gens ne peuvent pas te comprendre. Ou alors, tu emploies un langage philosophique.
Si je disais dans une chanson que mon idée est transcendantale, ça ferait rire tout le monde. Mais si je rêve de la vallée de Jérusalem, tout le monde comprend. Si tu veux, pour exprimer des idées qui sont, en fait, des idées abstraites, je suis obligé de faire appel à des structures mentales qui sont dans la tête des gens. Pour tout le monde, c’est pareil …

Il faut te dire aussi que je suis tout de même de formation liturgique, grégorienne, d’où certainement une influence dans mes oreilles, dans ma tête, dans mes structures mentales, une influence d’un récitatif qui est grégorien. Sans compter le texte, je parle musicalement, là. Mais c’est vrai pour d’autres : Léo Ferré a un récitatif grégorien, tout le monde l’emploie plus ou moins, ce récitatif.
Ce que j’appelle récitatif, c’est une phrase prononcée sur le même ton avec des variations de chute. Et cela, nous l’avons tous, nous avons subi l’influence.
Maintenant, quand je fais appel aux mythes chrétiens, c’est pour exprimer des idées abstraites, c’est certain. C’est pour me faire comprendre. La quête du Graal aussi, c’est quelque chose que les gens ont dans la tête.
Mais en fait, cela n’a pas de référence à ma foi directement, tu comprends ? Ma foi, je vais te le dire : je ne crois pas à la divinité du Christ ni à toutes ces choses-là. Ce n’est pas ma foi, ce n’est pas dans ma tête. On m’a dit souvent : « tu vas chercher dans l’Évangile … ». C’est vrai : j’ai chanté les Noces de Cana, je ne sais pas si c’est sur un disque, mais c’était uniquement pour montrer le côté paillard de l’affaire. Bon ! « Le Credo de la Joie », c’est un chant païen et chose curieuse, tout le monde le prend pour un chant chrétien !

D’accord ! Quand j’écoute « la Gavotte Romaine », je conçois que c’est une partie de rigolade … Par contre, quand j’entends « le Credo de la Joie », « Tout au bout du Sillon » ou « la Prière de Robinson », j’ai l’impression que tu te réfères à une foi. Une foi sans doute plus primitive que ce qu’en ont fait les prêtres catholiques, mais à une foi …

Oui. Quand je chante « Merci, mon Dieu, pour l’immense solitude … », je dis merci à Dieu. Mais à qui veux-tu que je dise merci ? Je me réfère à l’homme, je l’appelle Dieu. C’est tout ! Pour « la Gavotte Romaine », c’est évident, j’attaque l’Église …

L’Église en tant qu’institution … C’est ton côté anarchiste ?

Oui, l’institution. Je n’attaque jamais la foi. La foi, quelle qu’elle soit, est toujours respectable. C’est le marché de la foi qui m’horripile.
La foi est propre à chaque individu. L’individu étant respectable, sa foi l’est aussi. Malheureusement, il y a le marché qui gravite autour. D’abord, le marchand de gros de la foi : ce sont les religions (islamique, judéo-chrétienne, …). C’est le marché de gros. Les religions se partagent le gâteau. Ensuite, il y a le marché de détail que sont les églises : Protestants, Catholiques, Mormons, … Ce sont ceux, tous ceux qui vendent la foi sur l’étal des marchés. Ceux-là, je les attaque toujours. C’est à ce niveau-là, parce que la foi, c’est un vrai commerce. Il suffit de voir les déplacements du pape : c’est une espèce de kermesse pour ramasser du fric et … pour en dépenser aussi parce que ça coûte cher. Voilà une personnalité dont les déplacements ne sont pas donnés ! Chacun de ses pas vaut de l’or et ça embête tout le monde mais c’est sans importance. Ces choses-là, je ne peux pas les admettre. Je ne vois pas ce que le pape a fait d’évangélique en venant faire ses cérémonies à Lyon. Quand tu sais combien ça coûte : 10 000 flics pour le surveiller, qu’il faut payer, sans compter les faux-frais que les pauvres chrétiens vont être obligés de payer. 700 000 Frs par jour ! C’est cher, même pour le pape ! Je ne peux pas admettre. Comme chantait Léo Ferré : « Monsieur tout blanc, dans vos châteaux en Italie … ». Mais celui-là au moins, il ne bougeait pas, il y restait dans ses châteaux. Maintenant, celui-ci est partout !

Ferré chantait aussi que Monsieur Tout Blanc s’était tu pendant la guerre alors qu’il était au courant des camps de concentrations et autres choses …

Oui, il était au courant. Il savait tout, c’est prouvé. Il avait été prévenu par les cardinaux. Il n’a pas bougé le petit doigt … Alors, ne m’embêtez pas avec cette Église à la manque. Quand on voit ce qu’on fait de la foi, de la religion … Regarde les pays islamiques actuellement : une religion unique et une infinité de sectes qui s’entretuent. Protestants et Catholiques ont fait la même chose et le font toujours en Irlande. Toutes les guerres sont des guerres de religion, ou plutôt des guerres de foi. J’insiste, pas des guerres de religion, pas des guerres de foi mais des guerres d’églises, des guerres de marchands, ni plus, ni moins.

Rien n’est pire qu’une théocratie. Il vaut mieux avoir un tyran civil. Un tyran civil n’a que sa personnalité, que son armée pour le défendre. Les tyrans religieux font référence à un ordre supérieur, immuable et de toute autorité. La théocratie est le pouvoir le plus dangereux et provoque les guerres les plus atroces. Toutes les dictatures qui ont derrière elles une théocratie ou un semblant de théocratie, comme Franco en Espagne, sont les plus criminelles. Pinochet se cache derrière l’Église Catholique au nom de la lutte contre le Communisme. Ça a bon dos, le Communisme, quelque fois. Tu me diras que, par ailleurs, le Communisme, ce n’est pas brillant. C’est aussi une religion qui a ses églises : communisme yougoslave, russe, chinois, vietnamien, … Il y en a des églises là-dedans ! Ils se battent entre eux aussi.

C’est toujours la même chose : tout se passe au niveau de l’étal du marché. C’est la concurrence entre marchands de mêmes bijoux. Tu mets des étals où l’on vend la même chose : les marchands s’entretuent. C’est ce qui se passe : en principe, ils vendent la même chose. Ce n’est que la boutique ou que l’étal qui change et c’est pour cela qu’on tue. Ca devient lugubre, tu ne trouves pas ? Je te garantie qu’on serait bien plus heureux sur terre sans religion. Si Dieu existe, l’homme y est pour beaucoup. Il n’a rien demandé à personne celui-là ! C’est nous qui l’inventons tous les jours. Sans nous, il n’existerait pas …

C’est l’homme qui a créé Dieu ?

C’est sûr !
Tant que l’Église a eu le pouvoir réel et temporel, à l’époque de Philippe le Bel, Charles VI, l’Inquisition, … il faut voir les crimes qu’elle a commis. C’est abominable.
C’est marrant, d’ailleurs : quand tu parles de cela aux exégètes catholiques (il parait qu’il y en a !), ils te répondent : « A telle période, telles mœurs. » Mais pourquoi ? Mais ce n’est pas vrai. Les Grecs étaient plus démocrates que cela, ils ne tuaient pas comme l’on fait les Catholiques. Le suspect était jugé et il pouvait se défendre avec des avocats. Pour être condamné, il fallait qu’il soit jugé coupable. Et vous, les Catholiques, vous arrivez quelques millénaires plus tard et vous commettez des crimes de barbares. Vous dites aujourd’hui : « Telle époque, telles mœurs ! » Eh bien, non ! Votre religion fait tourner le monde à l’envers. Si la religion envahissait tout, si, tout à coup, le monde devenait d’esprit religieux, nous irions vers le gouffre, vers les heures les plus noires de l’histoire de l’homme.

Qu’une fois, il y ait des cérémonies, un peu de religiosité, ça permet d’occuper le dimanche, de faire la partie de boules avant l’apéritif. Je n’ai rien contre la messe du dimanche, moi, à condition de ne pas être obligé d’y aller ! Ca permet une certaine convivialité pendant le week-end : les vieux qui parlent de leurs patates, et tout ça …

Je n’ai jamais tant ri que quand j’allai à la messe à Glomel. On mettait tous les vieux dans le même coin : ils avaient leur chapelet mais pas un n’écoutait ce que disait le curé. Ils parlaient de tout, de leurs chevaux, des betteraves … Il fallait voir cela en haut de la nef, à droite. La messe, c’était loin. Les plus loin se mettaient près du porche et, pendant le sermon, ils allaient boire un verre.

Il y avait le père Le Gac, dans sa chaire, c’était magnifique. Il les voyait bien : « Ah ! Ah ! Jean Louis (il parlait par le nez le pauvre et il disait je suis l’aîné d’une famille de 5 enfants et c’est moi qui parle le moins par le nez) … Jean Louis, tu ne vas pas aller au bistrot tout de suite, tu vas quand même écouter un peu du sermon de ton curé. » Alors, Jean Louis restait et, après, il passait derrière le pilier. « Jean Louis, reviens devant le pilier que je te surveille ! » Et Jean Louis partait quand même, il revenait à la fin. C’était marrant !

Avec Xavier Grall, nous avions de sacrées conversations là-dessus parce que Xavier était plus attaché que moi à la religion catholique. Mais il n’admettait l’Église que dans les structures régionales. Pour lui l’Église, c’était la paroisse. Le reste, il s’en moquait totalement. Je lui disais : « Tu ne peux pas voir cela comme ça, il faut regarder plus haut !
– C’est rien tout cela. Ce qui est important, c’est le pardon, la façon dont nous les vivons. »
Au fond, c’était une façon d’autonomie. Le pape, il ne connaissait pas. Pour lui, c’était une religiosité propre à un pays. C’est à ce niveau-là qu’il était bien. Je n’ai rien contre les pardons : ça permet de boire un verre entre amis, de rire un peu … Mais ça ne fait pas une foi, cela. Pour Xavier, c’était suffisant. D’ailleurs, il l’a toujours bien expliqué. On se disputait souvent. Je ne voyais pas très bien son Bon Dieu à barbe blanche ! Lui, il avait conservé un peu de tout cela. Il était croyant, il était catholique, Xavier.

A propos de l’Église, ce qui m’a toujours mis dans une colère épouvantable c’est la relation qu’il y a entre le pouvoir parisien et l’Église contre les églises plus particularisées comme l’église de Bretagne dont le grand manitou était à Dol. De tous temps, l’Église de Tours a lutté contre la Bretagne et l’indépendance bretonne a été perdue beaucoup plus par l’influence de l’Église que par les effets du mouvement politique. Si tu analyses de très près tous les faits historiques, tu t’aperçois que l’Église y est pour beaucoup. Si l’Église avait gardé Dol comme centre religieux pour toute la Bretagne, il est probable qu’il n’y aurait pas eu le Traité d’Union. C’est l’Église qui a commencé à trahir, c’est l’Église qui a commencé à centraliser vers Paris au nom de « la France, fille aînée de l’Église ! »
Il faut voir toute la haine qu’a déployée l’évêque de Tours contre l’Église de Bretagne. Ça a été une guerre mais une guerre lamentable, ce n’était plus chrétien. Il a fallu utiliser les moyens les plus sales pour supprimer ce centre religieux qu’était Dol de Bretagne. L’Église a parfait les choses avec Napoléon : là où l’État mettait un préfet, le pape mettait un évêque. Napoléon disait d’ailleurs « mettez-vous tout le monde à dos si vous voulez mais pas l’évêque ! » Il savait très bien qu’après le Concordat, la seule façon d’organiser une structure préfectorale, c’était d’y associer l’Église. Les gens avaient une foi qui se devait d’être universelle. L’évêque disait : « Oui, la Bretagne c’est bien mais nous faisons partie d’une grande famille dont le père est le pape » et, au nom de cette foi dite universelle, on a supprimé les quelques frontières qui existaient encore.

Et l’Église a un argument plus moderne quand les Catholiques disent : « Heureusement qu’après Jules Ferry, nous avons eu l’Église Catholique pour maintenir la langue bretonne. » Oui, l’Église a utilisé la langue bretonne. Tant que les gens n’ont pas su parler et lire en français, elle était le seul interlocuteur à connaître le Breton. Elle était la patronne. A la messe, tout se passait en Breton. Mais dès que l’Éducation Nationale est arrivée partout, l’Église s’est empressée de faire disparaître les catéchismes bretons et les livres d’enseignement en breton. Après la guerre, il y eu l’autodafé des livres bretons. Il fallait que l’Église se mette aussi au français sinon elle allait perdre des clients. Elle ne s’est intéressée à la langue bretonne que pour asseoir sa situation sociale. Ensuite, elle a tout trahi : le pouvoir civil breton, le pouvoir religieux de l’église bretonne, le pouvoir éducatif.
Elle n’a jamais encouragé la langue bretonne, elle en a profité tant qu’elle en a eu besoin.

Le peu de gens d’Église qui ont vraiment soutenu et défendu la langue bretonne, comme Jean Marie Perrot, ont d’ailleurs eu beaucoup de problèmes …

Ils ont été excommuniés … ou presque !

Jean Marie Perrot a même été abattu !

Oui, mais ce n’est pas l’évêque qui l’a abattu !
Par contre, il a subi brimades sur brimades. Monseigneur Duparc ne lui a pas fait de cadeaux. Ce genre d’attitude était mal vu, c’est un fait certain. Par conséquent, l’argument des « gens qui vont à la messe », disant que l’Église a sauvé la langue bretonne, ne tient pas. C’est faux et archi-faux ! J’ai appris la catéchisme en Breton jusqu’en 1939 puis la guerre est arrivée. Après, tout le monde a été scolarisé et, quand j’ai fait ma première communion en 1942, nous avions déjà le catéchisme en Français. Et nous n’étions pas plus francisant qu’avant, ce n’est pas vrai. Nous restions bretonnant et l’on nous a imposé un catéchisme en Français dont nous n’avions pas besoin. Et ça, c’était une volonté de Monseigneur Sérent pour faire plaisir à Monsieur Pétain !

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As-tu des souvenirs de l’époque de la guerre où l’autonomisme breton a été « malmené », certains s’étant acharné à créer une similitude entre les idées de certains militants et les idées nazis ?

Je suis né en 1931. J’ai donc des souvenirs : j’ai vu un certain nombre de choses et je m’en souviens.
J’ai eu ma carte du PNB en 1945, j’avais un peu plus de 13 ans : ce fut ma première et ma dernière carte d’ailleurs. J’étais de la génération de O Lo Lê, c’était une revue que nous recevions tous. J’ai toute la collection que j’ai rachetée plus tard. C’est toute mon enfance, cette revue ! Nous étions formés par ça. J’étais, à ce moment, au séminaire de Quintin et il y avait là un grand séminariste qui s’appelait Lucien Morin. Il est curé de Quintin maintenant et c’est lui qui nous dirigeait un peu, il était un peu notre chef. Nous avions des cours de breton avec l’abbé Martin, au séminaire, parce que les prêtres devaient quand même apprendre le breton. Mais attention ! Les cours de Breton avaient lieu en plus des cours habituels. C’est toujours pareil : on apprenait le Breton aux futurs curés, puisqu’en principe nous étions des futurs curés, mais c’était en dehors des cours normaux, s’il te plait. Tu prenais sur tes récréations. Alors qu’on ne me dise pas qu’on nous a appris le Breton, tu comprends. Il ne faut pas exagérer !

J’en reviens aux Autonomistes pendant la guerre …

Je ne suis pas très au courant de tout cela : j’étais jeune, à peine 11 ans en 1940. Je suis entré au séminaire en 42 et j’ai suivi tout cela de l’intérieur du collège. Je savais qu’il y avait « les Perrot »
Les flics sont venus chez moi : j’étais quand même sur la liste puisque faisant partie du PNB. Les gendarmes sont venus et ils m’ont appelé : « Emile ar Skanv ». Je suis arrivé. Le gendarme a été surpris, il a demandé à mon père
: « – c’est lui ?
– Eh oui ! C’est lui, c’est Emile, mon fils ! »
Ils ont dit à mes parents qu’ils étaient venus parce que je faisais partie des Breiz Atao. Mon père a dit « ah bon ! », il n’était pas au courant. A moi, ils n’ont rien dit. C’était donc la Libération …

Pour le reste, il n’y a pas eu tellement d’exactions. La plupart ont été ramassés très rapidement. Ceux qui étaient vraiment mouillés étaient partis. A la Libération, on a surtout chassé ceux qui avaient fait partie de la Bezenn Perrot. Ils ont été emprisonnés et sont sortis 8 à 10 ans après. En réalité, le mouvement breton n’a pas eu à pâtir. Enfin, je ne veux pas dire cela : il a souffert mais pas autant qu’on aurait pu le croire. Tous ses membres ont eu des problèmes, c’est certain.

Certains ont tout de même été fusillés, comme Vissault et le Ruyet, d’autres condamnés à mort comme Olier Mordrel …

Oui, mais Mordrel par contumace. Jaffré a été condamné mais pas exécuté, il est sorti aujourd’hui. Les plus touchés ont été les gars de la Bezenn Perrot. Les autres, comme Rolland ou Roparz Hemon, ont eu des ennuis : ils ont fait quelques années ou quelques mois de prison mais on a vu tout de suite que c’était des bretonnants qui avaient lutté à leur manière. L’épuration aurait pu être beaucoup plus dure. Certains ont eu vraiment peur.

En réalité, quand tu analyses bien, il n’y a pas eu beaucoup d’exactions. Il y en a eu en Bretagne, comme partout ailleurs, mais pas obligatoirement liées au mouvement breton, au PNB. Un peu partout, des gens ont été fusillés mais c’était surtout des membres de la Milice, ceux qui avaient soutenu Pétain, des Doriotistes, des types comme ça, … qui ont été par la suite assimilés aux Breiz Atao. Tu vois ce que je veux dire : après la guerre, on a fait l’amalgame de tout. Il y avait les Doriotistes qui se promenaient en chemise noire à saint Brieuc, les milices-Pétain qui étaient partout. A la Libération, on a appelé tout cela les Breiz Atao.
Je discutais, il y a quelque temps, avec un ancien maquisard. Il me disait qu’ils avaient fusillé un type qu’ils avaient trouvé par là mais ce gars là avait été jugé par un tribunal que les maquisards avaient fabriqué eux-mêmes. Il avait du vendre des types, c’était un collaborateur, quoi !

C’est vrai, certains nationalistes ont porté l’uniforme allemand. Mais ça faisait quoi ? 60 personnes sur 10 000 membres du mouvement breton. Alors ! Il y avait 10 000 adhérents au PNB, plus que dans le Parti Communiste Français. Quand on y a regardé de près, on a vu que, sur 10 000 types,
il y en avait beaucoup dans le maquis, certains ont été décorés. On s’est aperçu qu’il ne fallait tout de même pas aller trop loin et ceux qui étaient dans le maquis en ont sauvé d’autres.
Mais c’est une histoire qui est très flou. Elle est très flou parce qu’en réalité, il n’y a pas de documents, il n’y a pas de documents écrits. Ce que l’on sait, c’est d’après les dires de Debeauvais, de Louarn, de gars comme cela. C’était l’époque de l’épuration et quand on épure, on évite les documents ! C’est plus facile. De toute façon, au sein du PNB, l’épuration n’a pas été terrible. Il y en a quelques uns qui ont été descendus mais surtout parce qu’ils étaient à la Bezen Perrot, je crois …

Sur les photos d’époque, on voit des militants bretons arborer des uniformes qui rappellent curieusement certains groupes allemands, non ?

La chemise noire, la cravate blanche ? Nous l’avons tous eu, cet uniforme. A l’époque, tous les mouvements avaient leur uniforme, les Scouts, entre autres. C’était la période du mythe de l’uniforme. Il faut replacer les choses dans leur contexte : nous avions tous un costume. Au collège, nous avions un pantalon bleu, une veste bleue et la casquette. Les filles avaient leur chemisier blanc et leur jupe plissée. Nous étions toujours en uniforme. Les Scouts avaient leur short et leur chemise kaki, ils se baladaient avec le chapeau à la Baden Powell. Les Coeurs Vaillants avaient le foulard, la chemise grise et le pantalon bleu. Tous les jeunes étaient encadrés dans un système identique. Ce qui fait que pour les défilés du PNB, nous mettions tous la chemise noire, la cravate blanche avec le triskell dessus. On défilait comme cela, c’est tout. C’était la mode de l’époque. Aujourd’hui, personne ne met plus d’uniforme.

On trouvait cela normal. Nous, au séminaire de Quintin, le dimanche à la promenade, notre plus grand plaisir, c’était de défiler au pas. On faisait des arrêts terribles : on était fiers d’arrêter net, bien en ligne.

L’uniforme noir et blanc des Bagadou Stourm … oui … Les Bagadou Stourm ont été une affaire parisienne plus qu’autre chose, avec Jaffré qui a été condamné à mort. Caerleon a d’ailleurs écrit un livre là-dessus « Dans la cellule des condamnés à mort », je crois. Il a du être gracié par Vincent Auriol. Mais il faut dire aussi qu’il a failli être fusillé par les Allemands. Il volait les Allemands : des camions, des tas de choses. C’était un free-lance, comme on dit maintenant. Ce n’était pas un collaborateur, pas du tout. C’était les principes de gens comme Delaporte et du PNB : les Allemands dehors, on s’occupera des Français ensuite. C’est ça en fin de compte. Il y en a, comme Célestin Lainé, qui ont fait une autre analyse.

Le but de Célestin Lainé était d’utiliser les Allemands pour affirmer l’existence de la Nation Bretonne …

Oui, c’est ça. Mais c’était utopique. Dès 1939, c’était foutu. Quand Debeauvais et Mordrel ont été en Allemagne, ils ont été reçus par l’état major allemand avant Munich. Ils ont posé la question : « si vous déclarez la guerre, respecterez-vous la neutralité bretonne ? » Les Allemands ont répondu « oui », au départ. Von Abez, qui était ambassadeur à Paris, a tout de suite fait changer l’état major. On savait très bien que les Allemands n’auraient jamais respecté la neutralité bretonne. Quand Pétain, au moment de l’Armistice, a demandé aux Allemands de respecter l’intégralité du territoire français, cela voulait dire que la Bretagne était comprise dans l’affaire. Donc, en 1944, Lainé n’avait pas à créer la Bezen Perot. C’était une erreur historique. C’est évident : c’était du crétinisme.

Debeauvais n’a-t-il pas fait la même erreur en allant en Allemagne à la même époque ?

Non. Debeauvais est allé en Allemagne à l’époque où tout le monde y allait : Daladier y est allé aussi !

Mais, à la fin de la guerre, certains chefs du mouvement breton se sont tout de même « réfugiés » en Allemagne …

En fait, Debeauvais et Mordrel ont été « déportés » en Allemagne par les Allemands. Ils ne leur plaisaient plus parce que, justement, ils dénonçaient le collaborationnisme allemand. Mordrel et Debeauvais n’étaient pas pour, ils ont été plus ou moins prisonniers là-bas. Debeauvais s’est échappé vers l’Italie, par la suite …

J’ai écris, un jour, un article dans la Nation Bretonne où je disais que le PNB était un des rares partis où les soldats ont été tués et où les chefs sont toujours vivants. Ce numéro du journal est arrivé à Montréal où se trouvait alors Mordrel et celui-ci m’a envoyé une lettre très longue ainsi qu’un article très bien fait sur le Parti Québecois. J’ai publié cet article, sans mettre son nom d’ailleurs. Il était d’accord … Mordrel est un excellent journaliste. Quelques temps après, il est revenu en France et je l’ai rencontré chez Ty Jos à Paris. Il m’a appelé en me disant qu’il avait besoin de me parler et il s’est mis à me raconter son histoire. Mais, c’est vrai ! Tous les chefs du PNB, y compris les chefs de la Bezen Perrot se sont tirés d’affaire. Tandis que les autres ont fait 8 à 10 ans de prison : les Legendre, Corentin Faou, Jolif, … Ils n’ont pas été fusillés, c’est vrai, sauf ceux qui ont pris sur le coup. Mais les chefs ? Aucun n’a été pris ! Et je l’ai écrit dans cet article : qu’on ne me ramène pas le PNB, ce parti où tous les chefs sont sains et saufs ! Ils n’ont pas été capables de défendre leurs hommes. Il a fallu le vieux Guiyesse et sa fille pour venir témoigner devant les tribunaux, pour prendre toute la responsabilité d’e l’affaire. Le vieux père Guiyesse qui avait 85 ans ! Il réclamait toute la responsabilité pour permettre à ces jeunes de se retrouver dehors. Ça ne m’a jamais plu et j’ai dénoncé cette attitude. Mordrel m’a raconté qu’il s’était réfugié en Italie, qu’il avait contacté l’état major américain pour éviter les fusillades en Bretagne, etc … etc … Je lui ai répondu que sa place n’était pas là mais devant les tribunaux. Il aurait du y être pour soutenir sa thèse. Il aurait sans doute été fusillé, d’ailleurs, les autres chefs aussi. Mais au moins, les chefs auraient été responsables. Comment veux-tu qu’un parti comme le PNB qui était un parti très puissant (Breiz Atao tirait à 50 000 exemplaires avant la guerre, L’Heure Bretonne à plus de 30 000), comment veux-tu qu’un parti reste crédible quand tous ses chefs se sauvent en laissant leurs soldats dans le pétrin ? Je connais un type qui a gardé une balle dans son pistolet pour descendre Lainé.

Ils les ont tous laissés tomber. Ils ont laissé leurs hommes défendre Rennes contre les Américains avec des pistolets ! Pendant ce temps-là, les chefs étaient arrivés en Allemagne ou en Suède. Je ne voudrais pas que l’on fasse des héros de ces gens-là. Et Mordrel a essayé de me convaincre pendant toute une soirée que lui n’était pas comme les autres. Mais il a fait comme les autres. Il était sur les plages de l’Adriatique en train de se dorer au soleil. S’ils étaient venus pour sauver leurs gars, je dirais : ils se sont trompés mais ils ont assumé.
Non, ils ont pensé à leur peau …

Tu en as revu d’autres ?

J’ai revu Lainé. Il est quelque part en Bretagne. Mais il est devenu complètement mystique. Déjà, en Irlande, dans sa roulotte, il entendait des voix : il se prenait pour Jeanne d’Arc ! C’est le genre de gars qui se sent mal à l’aise dans ses sabots. Le seul qui avait les pieds sur terre, c’était Debeauvais. Ce n’était pas un intellectuel, tu sais, alors, il avait vu à peu près juste. Hervé et Raymond Delaporte ont aussi gardé les pieds sur terre, à peu près.

Les gens qui ne travaillent que pour des mythes sont dangereux. Cela devient une sorte de religion. Quand j’entends parler de la Celtie, je ne suis pas d’accord. Que l’on utilise ce terme en langage poétique, passe …
Je l’ai dit à Alan Stivell :
– tu parles de la Celtie comme si nous n’étions que d’un seul pays …
– il faudrait qu’on le soit !
Je dis non ! Il y a autant de différence entre un Irlandais et un Breton qu’entre un Corse et un Breton. Ca n’a rien à voir.

Il y a des gens qui vivent de mythes. C’est dangereux. C’est le Fascisme, les mythes. Il ne faut jamais laissé un mythe devenir prédominant. Qu’on parle de bretonnitude, encore, mais de Celtisme, non. Quand je vois un Irlandais, ça ne me fait pas plus de chose que quand je vois un Français : je ne me sens pas plus Celte. J’en ai rien à faire, des Irlandais. Je les aime bien mais je me sens pas d’atomes crochus avec les Irlandais, pas du tout ! Pour eux, c’est pareil. Quand tu vas en Irlande et que tu leur parles de la Bretagne, ils disent que tu es Français. Moi, je dis oui, à condition qu’eux soient Anglais ! Ceux qui viennent ici sont avertis mais quand tu vas en Irlande, pour eux, ça n’existe pas la Bretagne. Les Bretons sont plus au courant de ce qui se passe en Irlande que les Irlandais de ce qui se passe chez nous..

J’étais à l’université de Golway, avec Hervé Mahé qui a été répétiteur là-bas. Je suis resté discuter avec des professeurs. Mon anglais n’est pas parfait mais je me fais comprendre. J’ai parlé de la Bretagne. Mais ces braves gens ont décollé. Ca ne les intéresse pas. Ils voient la France, un très beau pays, un pays libertaire. Remarque, la France a fourni des armes à l’Irlande, elle est venue au secours de l’Irlande. Alors, si l’on compare ce qu’ont fait les Français chez nous à ce qu’ont fait les Anglais chez eux, ils ne comprennent pas. Non ! La France ne fait pas ça. Quand on leur dit qu’on est en train de démolir notre langue, ils répondent que ce n’est pas grave : eux non plus n’ont plu besoin de leur langue. Ce sont des ordures ! Il n’y a rien à tirer de cela … Ils ne sont bons qu’à faire la guerre entre eux. C’est Bernard Shaw qui disait : « l’Irlande, c’est le peuple que Dieu créa fou, où toutes les chansons sont tristes et toutes les guerres joyeuses. » Ils aiment la guerre, c’est vrai. Il n’y aurait pas de religion qu’il y aurait quand même la bagarre. Ce n’est pas par hasard si les Irlandais ont eu les premières armées professionnelles du monde. Bien avant les Romains … Ils ont toujours été en guerre …

Il se faisait tard, la nuit tombait sur Quimperlé en cette soirée d’octobre 1986. Glenmor avait parlé pendant 3 heures et il avait soif …
Nous nous sommes quittés en se promettant de se revoir. La nouvelle rencontre n’aura jamais lieu …ici-bas !

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