Entretien avec GLENMOR (première partie)

Entretien avec GLENMOR (première partie)

Cette photo de Alain Marouani est un détail de la pochette du disque paru chez Barclay et qui fit vraiment connaître Glenmor après la diffusion confidentielle de son disque édité à compte d’auteur « A la Mutualité ».

Je vous propose, pour commencer, le texte d’une chanson enregistrée sur l’album « Princes, entendez bien » (le Chant du Monde). On trouve ce texte dans le second coffret de 2 CD édité par :
l’Association Glenmor an distro
c/o Fañch BERNARD
6, rue Traverse de la Rive
29800 LANDERNEAU.

L’intégrale de l’oeuvre chantée de Glenmor (3 livrets de 2 CD) est commercialisée par Coop Breizh

PUIS NOUS GARDERONS …
Quand nous n’aurons plus notre bel habit d’enfance
Quand les bois de Noël seront cendre un peu plus
Quand toutes les beautés qui furent insouciance
Seront de noir vêtues sur les tables du souvenir,

Nous verrons tout ensemble cassés
Et le dos du paysan et le pas des chevaux
Nous irons tous ensemble larguer
Nos trois sous de mémoire au cimetière des bateaux.

Quand nous n’aurons plus le sel des eaux de Guérande
Quand la barque sénane ira déroutée pour un temps
Quand la pluie des montagnes sera jus de prébende
Quand l’île sera folle, la terre dans le vent

Nous verrons tous ensemble mêlés
Nos trois sous de mémoire, le répons d’un écho
Nous irons tous ensemble guetter
La dernière lueur sous les ruines du hameau.

Quand nous n’aurons plus notre folie coutumière
Pour déjouer la loi et le joug du puissant
Quand nous dirons l’histoire couchés sous la bannière
De qui brûle au soleil les vergers d’Occident,

Nous verrons tous ensemble flâner
Nos dernières splendeurs, nos fleurs de libertés
Nous irons tous ensemble mendier
Notre droit de vivre sous le porche des cités.

Puis nous garderons notre bel habit d’enfance
Car les vents de demain sont de gel et du Nord
Les chants de la terre iront tramés de souffrance
Si nous prenons l’habit, la tunique des morts.

Tous nos bras sont tendus vers un ciel
Où tout l’or et le bleu sont de sable et d’argent
Notre gloire fut mise au sommeil
Nous irons la chercher pour un autre printemps.

L’entretien qui suit a eu lieu à Quimperlé en octobre 1986. Nous avions pris rendez-vous au terme d’un récital que Milig avait donné dans ma commune (Mohon dans le Morbihan) au milieu de la totale indifférence de la population locale, le 3 octobre de cette même année. Le projet était de réaliser ces entretiens pour voir s’il était possible d’en tirer un livre. Mais la chose en est restée là : Glenmor a parlé pendant 3 heures et nous devions nous revoir pour améliorer tout cela et aborder éventuellement d’autres sujets. Le cours de la vie et les occupations de chacun en ont décidé autrement … Il m’a quand même semblé important de ne pas perdre tout ce travail, même si les spécialistes de Glenmor n’y trouveront sans doute pas beaucoup de nouveautés. Mais à chacun de juger et de réagir si besoin …

Milig, pour nous, Bretons, tu es la Bretagne militante, en chansons, en livres, en prises de positions publiques, … peux-tu définir ta démarche ?

Pour cela, il faut d’abord répondre à la question : pourquoi est-on NATIONALISTE BRETON. Et, avant tout, définir le mot « nationalisme ».

Le Nationalisme est à l’État ce que le Personnalisme est à l’individu.

Je veux dire par là que tu as conscience d’appartenir à un groupe qui se trouve lié historiquement, géographiquement, économiquement. C’est là la notion de NATION, celle d’appartenir à un groupe.
La Bretagne est donc une NATION au sens noble du terme. Ce n’est pas un ÉTAT. Elle n’a jamais été un État. Les États de Bretagne étaient, comme le reste, au sein d’un Duché. La Bretagne était la propriété personnelle d’un duc avec toutefois un aspect démocratique : le duc ne pouvait rien sans son parlement …


Peinture de Mihaï Dumitru

La Bretagne a donc connu une démocratie avant même que la France n’existe. Et, au surplus, la Bretagne n’a pas connu ce qu’on appelle, dans le Moyen Age, le servage. Cela n’a jamais existé chez nous. Nous avons connu l’autogestion bien avant l’âge. Je veux dire qu’il n’y avait pas de propriétaire terrien. Il y avait des gérants qui se trouvaient souvent être des monastères. Chaque individu avait sa place dans cette société, une société de CLAN.. On ne pouvait d’ailleurs pas la quitter. Les Latins nous appelaient des « colons ». Si l’on voulait quitter sa terre, un des enfants devait prendre la suite. Ces gens là sont les futurs nobles. C’est de là qu’est née la noblesse bretonne qui est une noblesse terrienne.

C’était donc une forme d’autogestion : chacun avait sa place dans une société bien établie. Et l’on vivait de manière assez correcte : aux XVème et XVIème siècle, la Bretagne était un pays riche, reconnue comme tel dans toute l’Europe. Nous avons gardé de ce passé une certaine idée de liberté, de démocratie. Malheureusement, le Breton étant un individualiste forcené, tout cela n’a jamais pu constituer un État. Pour constituer un État, il faut un maître. Or, les Bretons ont toujours considéré que l’individu était plus important que la société. Cela fait que les Celtes n’ont jamais pu faire un État. Le premier État celte que nous avons est l’Irlande … et ce n’est pas une réussite ! C’est comme ça …

Alors, qu’est-ce que nous avons apporté au Monde ? C’est une notion démocratique de l’Homme. Mais de l’Homme né. L’homme est né quelque part et il est enraciné, c’est sa définition.

Du berceau au tombeau, l’homme n’a que 4 kilomètres à faire et que 60 ans à vivre !

C’est dans ces temps là qu’il doit faire son bonheur. L’émigration n’est donc pas forcément la meilleure solution pour le bonheur de l’homme. D’où la défense de l’homme né. C’est une notion de l’homme que j’ai toujours défendue. Je ne suis pas nationaliste breton parce que je suis Breton mais je suis nationaliste breton parce qu’avant tout, je suis un homme né en Bretagne. Cela n’a rien à voir avec une idée politique préexistante. Je ne suis pas nationaliste breton au nom d’une idée politique. C’est le fait d’être né quelque part qui fonde ma nationalité. Je sais bien que les trois quarts des individus sont comme moi : étant nés quelque part, ayant vécu quelque part, ayant pris le contact de l’enfance avec une nature quelque part, ayant grandi, nous restons imprégnés par cette enfance. Et c’est à partir de ce moment là que nous devons réaliser notre enfance : une vie d’homme n’est jamais qu’une enfance réussie, une vie d’homme n’est jamais qu’une enfance réalisée. Et c’est à cause de ça que, né en Bretagne, je me devais de défendre tous ceux qui sont nés en Bretagne et défendre notre particularisme par le fait même.

Parce que tu penses que l’on peut parler d’un particularisme breton ?

Pas vraiment. Comme tout particularisme, le particularisme breton est un particularisme paysan. Nous étions une société paysanne. La paysannerie, qu’elle soit limousine, auvergnate ou bretonne, a les mêmes traditions. Souvent, nous avions les mêmes danses, plus ou moins adaptées suivant les instruments dont on jouait mais c’était presque une culture universelle que la culture paysanne. Par conséquent, le particularisme se résume à peu de chose mais le fait même d’être nés avec des hommes nés dans le même pays que toi, fait que nous avons une connaissance intuitive de l’autre et tu es heureux de vivre parmi des Bretons parce que tu les sens. Ils sentent des pieds, ils puent des pieds peut-être mais tu les sens de tous tes pores. Tu es chez toi.

Je ne sais pas si tu as jamais eu cette impression là mais quand tu sors de la Bretagne, que tu as été un mois ou deux absent, quand tu la retrouves, la Bretagne, même si la frontière n’est que fictive, quand tu arrives à Fougères, tu te dis : « Tiens ! Je suis chez moi. » Et ça te donne comme si tu étais protégé. Ce n’est qu’une impression, c’est psychologique mais c’est pour défendre cette psychologie là qu’on est nationaliste breton … On peut aussi ne pas l’être !

Je peux être reçu magnifiquement en Alsace, je ne serais pas chez moi en Alsace. Je ne suis chez moi que lorsque je suis arrivé dans mon pays. On peut avoir de très belles maisons ailleurs, mais dans la mienne, je suis chez moi. C’est ce principe là qu’il faut défendre. En fait, quand tu parles avec des hommes, tu t’aperçois qu’ils parlent tout de suite de leur enfance, donc de leur nationalisme, même ceux qui le refusent. C’est sûr. D’ailleurs, je l’ai dit et je l’ai écrit : quand tu discutes avec un homme intelligent, il en vient vite à te parler de ses amis. Nous vivons dans un vase relativement clos. Pour maintenir ses racines, il ne faut pas les laisser disparaître peu à peu. D’où le combat écologique, le combat social, …

Mais il ne faut pas dire, à priori, que la Bretagne ayant été indépendante avant, nous devons le redevenir. Non ! Même si la Bretagne n’avait jamais été indépendante, rien ne dit qu’elle ne peut pas le devenir.
Ce n’est donc pas une idée passéiste.
Le terme de « passéiste » est souvent jeté à la face des militants bretons. S’accrocher à une idée de nation, à si petite échelle, à l’heure de l’Europe, paraît à beaucoup le comble de l’anti-progrès …

Passéistes ! On aimerait bien nous taxer comme tels. Et pourtant nos idées sont des idées pour DEMAIN. C’est tellement vrai, qu’il y a vingt ans, en France, quand nous parlions d’autonomie des régions, on nous vouait à la géhenne, on nous jetait en prison, pour peu on nous aurait pendus ! Il ne faut pas oublier ce temps-là.
Aujourd’hui, qui n’est pas autonomiste en région ? Il y a même Marcellin … et il est pire que nous, c’est te dire ! Nos idées avaient vingt ans d’avance et elles ont toujours vingt ans d’avance.

Nous n’avons pas de véritable démocratie. Je veux dire que le pouvoir ne se rapproche pas de ceux qui le subissent. Car tout pouvoir est à subir, quel qu’il soit et quelque soit celui qui en a l’ordonnancement. Le réel pouvoir est à subir. Même si c’est ton ami qui détient ce pouvoir, tu dois subir son pouvoir. C’est donc un mal nécessaire. Pour te soulager de ce mal là, il faut que tu puisses contrôler le pouvoir, c’est à dire le rapprocher de toi. Plus un pouvoir est loin de toi, plus il est anti-démocratique. Plus le pouvoir est auprès de toi, plus il touche à la démocratie puisque tu le contrôles davantage.

D’où notre effort …

Nous n’avons rien demandé à la France. La France est une république, pas une démocratie. Si elle avait été démocratie, il y a longtemps qu’il y aurait un parlement à Rennes, il y a longtemps que les communes auraient leur pouvoir propre, il y a longtemps que les assemblées régionales auraient des compétences régionales, il y a longtemps que les conseils régionaux auraient des pouvoirs.
Il n’y a que la Gauche qui leur a donné un semblant de pouvoir et maintenant, la Droite estime qu’il faut mettre un frein à la décentralisation : on a été assez loin comme cela ! On retourne à l’anti-démocratie.

La lutte pour la Bretagne est la lutte pour la démocratie.

Il ne faut pas ramener notre lutte au niveau d’un combat pour un particularisme qui n’existe pratiquement pas. Mêmes nos chansons, notre musique, nos danses se retrouvent ailleurs. Regarde les autres régions du Monde : tu y trouveras les mêmes rythmes, les mêmes dires, tout cela pour les mêmes danses.
Notre culture est paysanne. C’est vrai, nous avons les costumes. Mais d’où viennent-ils ? Nous retrouvons les mêmes, un peu partout en Europe. Ce sont des costumes qui existaient déjà au XIVème siècle. Nous les avons adaptés et ils sont devenus des costumes bretons ! Ce n’est pas très original et je ne veux pas défendre ça.

Je veux défendre le droit à la démocratie, le droit au contrôle du pouvoir.
C’est une idée moderne et elle mérite qu’on se batte pour elle.Une assemblée régionale ? Inutile d’en parler, elle a moins d’argent que les conseil généraux. C’est encore une façon de se moquer des gens.
On peut dire que nous sommes des arriérés, que nos idées sont rétrogrades, c’est faux ! Je le répète car je tiens à cela : nos idées ont vingt ans d’avance !

Tu veux défendre des idées modernes, d’accord. Mais certains te reprochent d’utiliser pour cela un langage « médiéval », donc assez loin de la modernité.

Je ne pense pas que mon langage soit médiéval. Mais, voilà, moi, je suis bretonnant. Ma langue maternelle, c’est le Breton, ce n’est pas le Français. Quand je pense, je pense en Breton, instinctivement.
La langue bretonne est une langue synthétique : la phrase bretonne se construit avec la tête, pas avec la grammaire. Un mot placé de telle façon dans une phrase prend un autre sens. Tu lui ajoutes de la force ou tu l’édulcores suivant la place que tu lui donnes dans la phrase. En Breton, il n’y a pas le sujet, le verbe, le complément … Ça ne marche pas. On peut mettre le complément avant, on peut même mettre la préposition avant, on peut faire n’importe quoi avec une phrase bretonne. Donc, je me réfère à une langue qui, poétiquement, est très riche avec énormément de possibilités. Le Français est une langue analytique. Je me trouve confronté, quand j’écris en Français, pour donner à peu près l’image poétique que j’ai en tête, à une langue qui ne permet pas de le faire. Je suis donc obligé de supprimer tout ce qui précise le mot pour lui donner un concept très large, d’où ma façon d’écrire. Je supprime souvent les adjectifs, parfois le verbe pour laisser le mot dire ce qu’il a envie de dire, pour créer une ambiance. On appelle cela « médiéval » ? C’est faux. Ce n’est pas médiéval du tout ! Je n’emploie pas un langage du Moyen Age, les mots que l’on me reproche souvent sont encore dans le Larousse. Je n’utilise pas de mots qui ne soient dans le Larousse. J’écris un Français à peu près correct mais il se trouve que j’ai peut-être un peu plus de vocabulaire que certaines gens.
J’ai fait des études de Lettres à une époque où l’on travaillait beaucoup les langues. J’ai donc un certain choix de vocabulaire que la plupart des gens n’ont plus aujourd’hui. Alors, ils se disent : « Mais qu’est-ce que ça veut dire ? »

J’ai été effrayé, quand j’ai fait mon livre « les Emblaves et la Moisson », de voir le nombre de gens qui ne savaient pas ce que veut dire « emblave ». Ma mère le sait : emblaver, c’est semer du blé. Blave, blé, c’est le même mot. Les emblavures, c’est un mot que l’on apprenait à l’école primaire de mon temps. A 10 ans, on savait ce mot là : aujourd’hui, personne ne le sait plus parce que le vocabulaire paysan est en train de disparaitre. Et j’y reviens : nous étions de culture paysanne. Moi, je suis resté de culture paysanne. D’ailleurs, tu n’as qu’à prendre tous mes textes : je ne fais référence qu’à la paysannerie, qu’au métier de paysan, qu’aux termes de la terre. Je suis de culture paysanne. Alors, on dit « langage médiéval » … C’est vrai que je n’ai pas envie de mettre le mot plastique dans mes poèmes. C’est vrai qu’automobile, je ne trouve pas ça très joli …
C’est toujours pareil quoi ! Je reste un paysan qui parle, c’est tout, mais j’ai un langage aussi moderne que les autres, même plus parfois. Et le fait que je sois bretonnant a une grande importance …

Par rapport à ce langage, est-ce que tu te situes dans une lignée d’écrivains qui utiliseraient un vocabulaire semblable ?

Quand j’avais été invité à l’émission « Apostrophes » de Bernard Pivot, avec Ferniot, Fontaine et d’autres, je suis resté à discuter avec tout le monde après l’émission. On buvait un petit whisky, tous ensemble. Pivot avait lu le livre « la Septième Mort ». Les autres aussi l’avaient lu. Il venait de paraitre chez Albin Michel, aux Éditions Libres Edern Hallier. Ils était tous effrayés de cette façon d’écrire le Français. Effrayés, non. Ils trouvaient cela très beau mais m’ont dit : « c’est unique maintenant ! » Je dis non : ce n’est pas unique. Tu prends Carrière ou des tas de paysans, ils écrivent comme cela. Je n’écris pas tellement différemment de Giono. C’est parce que nous sommes de culture paysanne, l’un et l’autre. Si j’étais né en ville, j’emploierai peut-être d’autres mots. Cela vient de ma naissance plus que de ma façon d’écrire mais ce n’est pas moyenâgeux du tout. Je peux bien sûr employer des termes moyenâgeux parce que les mots que l’on n’emploie plus gardent un sens très large, ils ne se rétrécissent pas. Les mots que tu emploies tous les jours prennent un sens de plus en plus précis. Plus le mot a un concept large, plus il est poétique …

Nous avons parlé du passé à propos de la langue. On remarque aussi que dans les thèmes tu te réfère beaucoup à un passé que l’on peut appeler la tradition celtique : la fée Morgane, le roi Arthur, … On sent peut-être une évolution : ces thèmes sont moins présents dans tes derniers textes.

Oui, je fais référence à des mythes. Nous avons tous des mythes. Les grands mythes irriguent la littérature, même aujourd’hui, même chez les auteurs modernes. Et d’ailleurs, c’est toujours le même mythe, tu sais. La Quête du Graal, tout le monde l’écrit : il n’y a pas un auteur qui n’ait écrit sa Quête du Graal. Prends les auteurs modernes, les derniers, les Goncourt et autres, tous ils cherchent le Graal. D’ailleurs, ils situent cela dans la mer, c’est assez curieux !
Tous les grands thèmes de l’amour impossible et caetera … sont des thèmes qui sont dans toute littérature.
Nos mythes sont connus : les Chevaliers de la Table Ronde, voilà un mythe bien précis. Les mythes de la Chevalerie, de l’honneur sont des mythes bien connus.
Alors, pourquoi moi, puisque ce sont les nôtres, je ne m’y référerais pas pour me faire comprendre. C’est tout !

Tu as, comme cela, des mythes qui passent dans la mémoire collective. Prends celui de Tristan et Yseult, par exemple. C’est le plus simple : l’amour que l’on ne peut plus éviter à cause d’un philtre, l’amour obligatoire alors qu’il est défendu, tu ne peux pas t’y soustraire. Ça, c’est le mythe présent dans tous les romans modernes où tu as le mari, la femme et l’amant. C’est à peu près la même chose. : la femme qui couche avec le meilleur copain de son mari dit que c’est irrésistible. C’est le mythe de Tristan et Yseult même si on le traduit d’une manière différente.
La Quête du Graal, c’est à dire la recherche de soi, la quête intérieure, tout le monde l’écrit.
Au niveau de la chanson, c’est la même chose : tout le monde a écrit Dieu me damne. Prends Les trompettes de la renommée de Brassens, c’est son Dieu me damne. Prends Faudra que j’essaye, c’est le Dieu me damne de Fanon.

Tu sais, dans la littérature, comme dans la chanson, il y a très peu de thèmes : il y a les thèmes de l’Amitié, les thèmes de l’Amour et de la Mort et les thèmes sociaux. Il n’y en a pas d’autres, tout se résume à cela. Toi, tu les exposes à ta façon, c’est tout. Tous les thèmes que l’on emploie sont des thèmes connus.

Cela rejoint ce que tu dis à propos du particularisme : le particularisme devient vite universel …

Le particularisme, c’est ce qu’il y a de plus universel en réalité.
C’est une boutade que j’emploie quand je dis par exemple : « Rien n’est plus provincial que Paris ! »
Je l’ai dit un jour, à la Télé, au cours d’une émission avec Angèle Guller. Je disais : « Je ne comprends pas ! Si je chante Sous le pont Mirabeau, coule la Seine … ça devient un poème universel pour vous parce que je chante Sous le pont Mirabeau, coule la Seine … Et Sous le pont du Bindin, coule la Loire … je trouve ça tout aussi sympathique, c’est joliment beau mais ça fait provincial ! »

Paris trouve que lorsqu’on parle du Canal Saint Martin (tu connais Les amoureux du Canal Saint Martin ?), c’est une chanson universaliste. Pour moi, si je parle des amoureux du canal de Nantes à Brest, je suis provincialiste !
La province, c’est petit, par contre, dès que l’on cite Paris, c’est grand. Alors je trouve ça d’un ridicule parce qu’il y a-t-il plus particulariste et plus fermé que la rue Saint Vincent et tout le truc du « petit » Paris à la con avec leurs chansons stupides ? Il n’y a rien de plus bête. Et ça, c’est particulier à la France …

Pearse, un grand poète, le plus grand des poètes de langue anglo-saxonne, n’a jamais quitté l’Irlande. Si, il a voyagé hors d’Irlande, bien sûr, mais il a chanté Sleagow et sa petite rivière en Irlande. Et les Anglos-Saxons n’ont jamais dit que c’était un provincial. Il disent que c’est le prince des poètes ! Pour eux, cela n’a pas d’importance, c’est la langue qui compte. Mais ici, si tu n’abordes pas le sujet « Paris », tu n’est pas un grand auteur, tu es un provincialiste. Alors que c’est Paris qui est provincial, c’est tout petit, Paris … C’est rien, il n’y a aucun souffle là dedans. Rien !
C’est nous qui sommes universels !

Mais nous en tant que porteur de la culture paysanne ?

Voilà. C’est la seule culture d’ailleurs qui soit universelle.
Et je vais te raconter un phénomène, parce qu’il vaut la peine d’être entendu. Pierre Perrot, le cinéaste québeccois, est venu chez moi, il y a 8-10 ans maintenant. Il avait avec lui un paysan de l’Abitibi qui ne parlait que le Joal (le Joal est un mélange de Français, d’Anglais, d’Espagnol, les langues de tous ces émigrés du Nord Amérique, avec même de l’Indien dedans). Ca se parle donc dans le Québec. Cet homme là ne parlait absolument pas le Français, j’avais bien du mal à le comprendre. C’était pour faire un film qui s’appelle : « Un Québecois en Bretagne, Madame ». C’est moi qui ai conduit tous ces gens en Bretagne pour leur montrer un peu. A un moment donné, nous avons été à la ferme de mon père. Mon père ne tenait plus la ferme mais il venait travailler avec mon frère qui avait pris la suite. Et j’ai vu donc cet homme arriver. Mon père ne sait ni lire ni écrire, il parle un très mauvais Français : sa langue, c’est le Breton ! L’autre arrive et ils parlent tous les deux. Ils parlent mais ne se comprennent pas, c’est visible qu’il ne se comprennent pas. Puis, tout d’un coup, ils rentrent tous les deux dans l’étable et mon père ressort de l’étable, il tire un gros taureau. L’autre pousse au cul du taureau pour le sortir dehors. Et à partir de ce moment là, quand la bête a été dehors, quand ils ont parlé de la bête, chacun dans son dialecte, ils se sont très bien compris. C’est à dire que, dans le discours, il n’y avait plus un seul hiatus parce qu’ils parlaient de la même chose, d’une chose qui était commune aux deux. Les deux langages, aussi différenciés soient-ils, ils se comprenaient très bien, le geste intervenant bien sûr, il y a aussi le geste qui intervient. Ils ont un discours tout à fait logique pour parler de la bête, de son poids, du prix de vente, du culard … Ils avaient donc un objet qui, leur appartenant à l’un et à l’autre, dans une même culture à 7000 km de distance, pouvait les faire se rencontrer.

C’est donc le langage, c’est un signe, ce sont des signes, le langage. Tu avais là deux paysans qui ne parlaient pas très bien le Français, ni l’un ni l’autre, mais qui, avec une bête entre eux, se sont mis à se parler parfaitement d’une manière très logique. Et Pierre Perrot a su exploiter ça dans son film : tu les vois en train de discuter tous les deux, inquiets parce qu’ils ne se comprenaient pas, rentrer dans l’étable et ensuite se répondre l’un à l’autre sans se tromper.
C’est un très beau passage du film d’ailleurs …

Oui, en fait, le particularisme appartient surtout aux villes. Ce qui est vraiment particulier, ce sont les cités. Il n’y a qu’un inconvénient, c’est que nous assistons à l’urbanisation de la paysannerie.
Quand je dis urbanisation, cela veut dire que le paysan a tendance à oublier son particularisme paysan pour s’adapter au système de ville en campagne. C’est vrai que c’est la même télé qu’ils ont, les mêmes trucs, c’est la voiture, ce n’est plus le paysan d’autrefois. Il ne réfléchit plus sur sa terre, il n’a plus le temps, le pauvre vieux. Les vieux, ils s’en foutent, ils sont à la retraite et les jeunes, c’est du tracteur à la voiture, de la voiture au cul du tracteur … et on y va ! Alors, ce sont déjà des paysans urbanisés.
D’ailleurs, ils exigent un salaire, c’est assez curieux ça. Qu’un paysan exige un salaire, ça ne viendrait jamais à l’idée d’un vieux paysan puisque leur salaire, c’était l’amélioration de leur capital. Le paysan travaillait, non pas pour avoir un salaire, mais pour améliorer ce qu’il faisait.
C’est pour cela d’ailleurs que, chez le paysan, la notion de propriété est très enracinée. C’est pour cela que toutes les révolutions socialistes se sont cassées les dents sur la paysannerie. Sauf Mao qui avait été plus malin que les autres. Lui, il a commencé par là : il a d’abord constitué des milices paysannes. S’il avait fait comme les Russes, c’était un échec. Les Russes ont échoué à cause de la paysannerie parce qu’on ne peut pas enlever à des gens qui travaillent la terre la notion que leur capital, c’est leur salaire.

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Est-ce que, finalement, cela ne peut pas expliquer le problème des paysans bretons qui se sont fait tuer pour leurs nobles à l’époque des Bonnets Rouges, des Chouans, pendant la Première Guerre Mondiale où ils allaient à la boucherie pour défendre un capital qui n’était pas le leur

Le capital est toujours le leur même si la terre ne leur appartient pas. Le bien foncier, la propriété foncière ne rentrent pas dans le
capital des paysans. La notion de propriété terrienne, de la terre, n’entre pas. C’est la bête, c’est le cheptel, c’est l’outil, c’est l’exploitation qui compte dans le capital paysan. La propriété terrienne n’est venue qu’après, très loin après. D’autant plus qu’en Bretagne, nous sortions d’une civilisation où la propriété terrienne n’existe pas, je l’ai déjà dit. La propriété terrienne ne s’est fixée qu’à partir des XIII-XIV-XVèmes siécles. Avant, c’était des terres gérées par les Abbayes, comme l’Abbaye de Redon. Le cartulaire de Redon est très précis là dessus. Les propriétaires, c’étaient généralement des moines. Ça a commencé comme ça, la colonisation bretonne, avec les moines de l’époque. C’étaient pas vraiment des moines d’ailleurs. Tu sais, tous les saints bretons que nous avons étaient des bandits ! Tout le monde le sait et ça n’a pas d’importance. Nous avons fait des saints de ces gens-là mais nous avons fait un héros de Pontkallec qui n’était lui aussi qu’un voleur.
Les Bretons ne mettaient pas grand temps à faire de quelqu’un un héros : dès lors qu’il disait merde à quelqu’un, il devenait un héros … alors. Ça a changé depuis d’ailleurs.

Et en fait, la propriété de la terre est une notion relativement nouvelle. C’était laissé à des nobles et tu sais qu’en Bretagne, ils étaient pauvres, les nobles. Il suffit de lire comment on se moquait des nobles bretons dans les archives du Parlement de Bretagne. Ils étaient parfois plus pauvres que leurs paysans. Les paysans exploitaient la terre, les nobles n’arrivaient pas à se faire payer et, comme en Bretagne le droit était attaché à l’individu et non pas à la classe, les nobles étaient trainés devant les tribunaux par les paysans et ils étaient condamnés la plupart du temps. C’était pas marrant d’être propriétaire terrien en Bretagne vu la juridiction qu’il y avait.

C’est une affaire à étudier. C’est assez curieux que les jeunes ne se plongent pas dans les Us et Coutumes de Bretagne et tout ça. On voit la différence qu’il y avait entre le droit breton et le droit français, la place que tenait l’individu en Bretagne. Le Personnalisme est né du Celtisme, le Romantisme est né du Celtisme, la notion de l’individu prioritaire sur la société, le Personnalisme, en réalité, c’est nous ça. Les Latins ont toujours été des individualistes. Ils ont créé d’abord l’État et l’individu devait se soumettre à l’État pour l’organisation d’une société. Pour le Celtique, ce n’est pas ça du tout : c’est l’État qui devait plier, l’individu étant prioritaire et prédominant. Toujours cette notion personnaliste de l’homme qui est une notion magnifique d’ailleurs, anarchiste aussi,d’où l’anarchie naturelle aux Bretons. On appelle cela anarchie mais les Bretons sont plutôt libertaires qu’anarchistes. Tout cela, c’est évident. Mais c’est pris dans une ambiance. Il faudrait en discourir pendant des heures et des heures et des journées entières et tu ne peux pas voir ça comme ça.

Moi, j’affirme des idées mais, en réalité, tout cela est écrit : si tu travailles sur les ouvrages de ceux qui ont étudié les Us et Coutumes de Bretagne, c’est écrit et c’est très bien vu. Il ne faut pas oublier que les Us et Coutumes de Bretagne ont servi de base au droit des parlements de Rouen, de Bordeaux. Ils n’étaient même pas capables de légiférer là-bas sans passer par les Bretons !
Parce que la Bretagne légiférait sans le roi de France et souvent contre le roi de France, les autres parlements avaient tout intérêt à copier les Bretons.

D’où l’importance qu’a eu le Parlement de Bretagne.

C’est nous qui avons chassé les Jésuites, c’est nous qui avons fait les gabelles, c’est toujours la Bretagne qui a fait les révolutions contre le roi et les autres ont suivi … Tout cela parce que nous étions d’un droit différent
Le droit ducal, le pouvoir ducal était très limité en Bretagne, très limité ! Si les barons ne marchaient pas, si le Parlement ne votait pas, la loi ne passait pas. Et ils ont eu du mal souvent. Nous étions une démocratie, pas une démocratie telle qu’on la prétend aujourd’hui. Ce n’était pas une république, je veux dire mais c’était une sorte de royauté constitutionnelle. Comme en Angleterre … D’ailleurs l’Angleterre a gardé des éléments du droit celtique : l’Habeas Corpus. Tout cela, c’est du droit celtique et l’Angleterre l’a conservé.

Pour la femme, par exemple, nous n’avons jamais connu la loi régalienne, on n’a jamais déshérité une fille si elle était l’ainée. Si elle était l’ainée, c’est elle qui prenait le pouvoir. La duchesse Anne était Duchesse de Bretagne, on n’a jamais discuté de cela. Ce n’était pas un problème pour nous. Elle avait pourtant des frères.
C’est cela la notion celtique de la femme : la femme est aussi puissante que l’homme, la femme avait autant de pouvoirs que l’homme. Nous avons d’ailleurs subi, jusqu’à preuve du contraire, le matriarcat. Nous sommes encore sous régime matriarcal, nous !
Je ris un peu parce que justement mon père ne comprend pas toujours ce qui se passe à la télé. Il y avait un procès à Poitiers et Gisèle Alimi avait plaidé, il y avait le MLAC et tout ça. Mon père qui ne sait pas lire à demandé : « mais qu’est-ce qu’elles veulent, ces bonnes femmes ? » Je lui réponds : « les femmes manifestent parce qu’elles font le même travail que les hommes, elles ont un salaire moindre ». Il dit « Ah oui ! Ça, elles ont raison ». Et j’ajoute : « Elles protestent aussi contre les hommes qui ne veulent rien faire à la maison … » « Ah ! qu’il dit mon père, on aurait du faire ça ici. » Lui, il pensait que les hommes auraient du manifester contre les femmes !

Et c’est vrai : à la maison, mon père n’a rien à dire, c’est toujours ma mère qui décide. Dans toutes les familles de par ici, c’est le matriarcat total et cela, c’est encore une tradition celtique.

Ca vient de très loin tout cela. On peut faire des tas de références, reprendre tout cela. Ce sont des choses que j’ai lues, il y a assez longtemps, mais tu peux encore le constater dans les faits : l’incapacité, par exemple, pour les Bretons d’organiser un parti politique. Cela a toujours été ainsi. Nous avons un mal de chien à admettre la discipline de l’individu parce que les Bretons ne sont pas prêts à cela. Quand tu as deux Bretons, bon, ils sont d’accord, ils vont faire quelque chose. Un troisième arrive, ça marche encore. Mais dès le quatrième, il y deux solutions, il y a deux groupes, il y a deux de chaque côté et l’essaimage continue … Cela parait ridicule mais c’est très enrichissant. Ca permet le dialogue perpétuel et ça permet des idées nouvelles tout le temps. C’est une société qui ne se fige pas. Par contre, les sociétés latines se sont tellement figées que Rome est tombée dans la décadence et qu’aujourd’hui, tu peux te dire que le monde latin est en train de tomber en désuétude. Ils sont figés dans des formes qu’ils veulent écarter : c’est la Gauche qui a voulu donner le pouvoir à d’autres et la Droite qui reprend. Ils ont trop peur de lâcher leur pouvoir d’état et bien, ils crèveront ! Dans cinquante ans d’ici, la France n’aura plus ces structures là, cela n’existera plus.

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Le problème de la Gauche vient peut-être aussi du fait qu’elle a voulu un pouvoir et quand il y a pouvoir, c’est forcément mauvais pour celui qui le subit ?

La Gauche, tu sais, la Gauche a toujours été moralisatrice, elle a toujours été une Gauche sur papier. Quand ils ont été confrontés au pouvoir réel, ils se sont demandés par quel bout le prendre. Au début, on va piquer ce qu’on avait mis sur le papier et c’est la catastrophe ! Pour les nationalisations, il ne fallait pas aller aussi vite que cela. Il valait mieux garder l’argent. Ils ont été complètement inconscients. Parce que même en nationalisant, un peu plus tard, quatre ou cinq ans après, ils étaient gagnants parce qu’ils auraient su gérer par la suite. Ils se sont fait taper sur les doigts parce qu’ils étaient les meilleurs gérants du monde. Ils ont prouvé qu’ils étaient capables de gérer aussi bien, sinon mieux, que la Droite … Malheureusement, ils l’ont fait à l’envers ! Au lieu de commencer les réformes de structure par ce qui ne coûtait rien (la régionalisation …), ils ont eu simplement peur d’une chose, c’est d’allumer des contre-pouvoirs.
Ils ont disposé tout d’un coup de tous les pouvoirs, législatif, exécutif, syndical (on ne peut pas dire quand même que les syndicats étaient contre la Gauche !), ils ont tout eu en même temps. Mais c’est à ce moment là qu’il fallait être courageux et dire : « nous allons faire l’élection des assemblées régionales au suffrage universel », sachant bien qu’ils allaient allumer un peu partout des contre-pouvoirs parce que toutes les assemblées régionales n’auraient pas été de gauche. Mais c’est ça qu’il fallait faire parce que, ce faisant, ils auraient mis sur pied un système qui aurait fonctionné pendant cinq ans et après, la Droite ne pouvait plus revenir là dessus. Et les contre-pouvoirs qu’ils avaient faits naître contre eux auraient aussi été des contre-pouvoirs pour la Droite parce que toutes les assemblées régionales n’auraient pas été non plus de droite.

Mais ils ont eu tous les pouvoirs, ils se sont réjouis de cela. Tu as vu un personnage comme Popren qui disait : « maintenant que nous avons le pouvoir d’État, nous n’allons tout de même pas nous en priver pour imposer nos réformes ». C’est de la grande bêtise. Cela prouve qu’ils ne sont pas très brillants. Alors que s’ils avaient commencé par les réformes qui ne coûtaient pas un rond, on installait déjà une structure de base qui étaient beaucoup plus démocratique et ensuite, quand le marché se serait un peu redressé, d’autant plus que cela aurait sans doute permis aux régions de se développer davantage et de perdre moins d’emplois, ils auraient pu commencer à nationaliser un certain nombre d’entreprises. Ils ont fait juste l’inverse. Ce qui prouve qu’ils n’étaient pas prêts pour le pouvoir. Et, même s’ils revenaient sachant leurs erreurs, ils recommenceraient …

parce qu’il y a le pouvoir ?

Il y a le pouvoir : le pouvoir tue un homme !

Alors, c’est la raison pour laquelle on te voit rarement dans les affaires politiques : tu n’as pas, comme Stivell, présenté ta candidature sur certaines listes, tu n’as pas soutenu l’un ou l’autre …

Si ! Si ! Pour les Régionales, s’il n’y avait pas eu le problème avec Gourmelin dans les Côtes du Nord, je menais la liste des Côtes du Nord et j’aurais fait plus de 1 % des voix, crois-moi ! C’est sûr ! A la limite, j’aurais pu être élu. Ce n’est pas parce que l’on désapprouve un pouvoir quelconque qu’on n’a pas le droit d’y entrer.

Nous ne pouvons rien, ce n’est pas mes idées qui vont être appliquées demain. Il faudrait supprimer les états ? L’état est un mal nécessaire … Un état peut être supprimé. Si les hommes étaient intelligents, ils n’auraient pas besoin d’état. On n’a pas besoin d’administration pour nous gouverner, pour prendre les décisions. On a besoin d’une administration pour gérer, pas pour prendre des décisions. Or les trois quarts des décisions et leur application politique sont confiées à une administration qui devient déléguée au pouvoir elle-même. Or le fonctionnaire est là pour remplir des papiers, pour gérer et non pour commander. Ce n’est pas parce que je ne suis pas d’accord avec cela que je n’ai pas le droit d’aller le dire au niveau où je peux m’exprimer. Donc, je peux être candidat, je peux être élu mais je ne serais pas candidat sur un truc politique pour siéger à Paris. Ca, ça ne m’intéresse pas du tout.

Mais je crois que nous devions prendre notre place dans l’assemblée régionale. Malheureusement, nous n’avons pas eu l’argent nécessaire. Ensuite, nous voulions faire l’union jusqu’au jour où Gourmelin et l’UDB se sont alliés à des partis français comme le PSU et autres pour faire une deuxième liste. Moi, j’ai cédé sur les Côtes du Nord, mais je n’aurais pas dû céder. Certains me l’ont reproché mais j’ai cédé parce que je ne voulais pas qu’on dise : « Oui, c’est Glenmor, avec sa grande gueule, qui a tout fait … ». C’est moi qui aurait été accusé. On n’accusera pas un Gourmelin qui est un politique, on m’accusera moi qui ne suis pas un politique … Alors, j’ai lâché.

Je crois qu’on peut tout de même participer mais ce sera toujours local. Moi ce qui m’intéresse, c’est le pouvoir en Bretagne, ou plutôt dénoncer le pouvoir en Bretagne. Être député à Paris, ah non ! Je dois avouer que cela ne me tente pas du tout. Même président de la république, je n’accepterais pas. Pourtant, il n’y a plus grand chose à faire …

Duc de Bretagne, peut-être ?

Même pas ! Non, non !

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Si nous parlions de ta vie de chanteur ?

Oh, tu sais, ma vie de chanteur, c’est une vie comme une autre.
Il ne faut pas se faire d’illusions sur la vie de chanteur. La vie de chanteur, c’est une affaire où il s’agit de trouver du travail pour gagner sa vie. On peut voir cela du côté folklorique, du côté « nom », du côté « homme public » … C’est très bien d’être reconnu dans la rue mais si tu ne gagnes pas ta vie, ce n’est pas la peine de continuer. Alors, il y a des jours où l’on se pose des questions.
Moi, je ne me pose plus de questions. J’ai un certain âge, mes chevaux sont amortis, comme dit l’autre, j’ai ma maison, je peux travailler à moindre frais. Mais si j’étais jeune, pour commencer maintenant, je sais que ce serait dur.

C’était encore plus dur de mon temps mais j’étais jeune et je ne voyais pas tout cela. Quand j’étais jeune, il n’y avait rien en Bretagne, il n’y avait pas un seul cabaret, il n’y avait rien du tout. Les premiers cabarets en Bretagne, c’est moi qui les ai créés, alors … Il n’existait rien.

La vie de chanteur ? C’est un métier de ballade, c’est une vie de ballade. Mais je crois que ce n’est pas tellement le métier de chanteur qui est important, c’est un métier que tu apprends pour monter sur scène. Tu le fais plus ou moins bien, ça dépend des jours, le mieux possible … Mais ce qui est important, c’est l’écriture. J’aurais été journaliste, j’aurais pu écrire des articles mais mes articles n’auraient pas été, la plupart du temps, imprimés dans un journal normal. Ouest France n’aurait jamais publié ce que j’avais envie de dire. Le seul moyen que j’avais, c’était de trouver la solution pour m’exprimer et cette solution, c’était la chanson.

Et, ce faisant, je n’avais pas grand’chose à chercher, je n’ai fait que reprendre le métier des vieux bardes. Il est vrai que, quand j’ai commencé, il n’existait plus qu’un bardisme populaire, ceux qu’on appelait les chansonniers de foire. C’était fait souvent par des paysans, des facteurs, des tisserands, des gens qui courraient beaucoup dans les campagnes. Ils chansonnaient tout ce qu’ils voyaient et ils venaient chanter cela dans les foires. Moi, j’ai connu ça, bien sûr. On chantait les évènements qui venaient de se passer. Et les gens apprenaient les airs, c’étaient toujours les mêmes airs, des airs connus. Et on racontait les évènements avec leur critique. J’ai fait la même chose, j’ai commencé comme cela. Tout petit, j’ai commencé à charrier ceux qui « faisaient » du poulet. Après la guerre, tout le monde faisait du poulet. Alors, j’ai écrit des chansons pour danser sur ceux qui faisaient du poulet, en espérant qu’ils fassent aussi du lapin … parce que j’ai toujours préféré le lapin !

Et tout ça, c’était des chansons que j’écrivais comme cela. J’ai commencé comme les chansonniers. Depuis que j’ai eu 12-13 ans, j’ai écrit, c’était naturel. Je ne me suis pas dit « Tiens ! Je vais écrire des chansons … ». Non, j’ai toujours écrit des chansons parce que dans mon village, quand j’assistais au charroi des betteraves, le soir venu, nous nous mettions en rang pour danser, quand nous avions mangé et on se mettait à chanter ce qui s’était passé dans la journée. C’étaient des improvisateurs merveilleux. Mon père était diskanner c’est-à-dire qu’il répétait après l’autre en continuant la phrase quand le type ne trouvait pas la suite. Et l’on racontait tout ce qui s’était passé dans la journée : celui qui avait fait verser sa charrette, celui qui était arrivé bourré … Tout le monde était chansonné et on dansait en même temps.

Je suis né là-dedans, j’ai toujours écrit des chansons. Mes parents te diront : « on l’a toujours vu écrire des chansons. » C’était l’ambiance de l’époque.
Le facteur de Glomel est connu pour une chanson (ici, un titre en Breton que je n’ai pas su transcrire; NDLR). Il a écrit aussi une chanson sur un air très triste : « pleurons tous car le pommier est tombé et nous n’aurons plus de cidre ». C’est une chanson qui est devenu un classique du folklore breton mais elle a été écrite par le facteur de Glomel qui est mort il y a deux ans.

Moi, je suis né là-bas donc je n’ai aucun mérite à chanter puisque je l’ai toujours fait. Mais, je me suis dit : « pourquoi ne pas monter sur scène ? » Et là est venue l’idée. Personne ne le faisait plus. Alors, je suis monté sur scène et j’ai commencé un peu partout … à Paris. J’ai débuté comme ça. Je ne me suis pas mis à écrire des chansons pour, je le faisais naturellement. Je n’ai fait que reprendre la tradition de chez nous. Aujourd’hui, c’est pareil.
On a parlé de « la grande bouffe bretonne » avec tous ces groupes mais ces joueurs de binious qui faisaient des festou noz avant que la mode ne soit arrivée, ça a toujours existé chez moi. Dans le Centre Bretagne, bien avant la grande bouffe bretonne, depuis la fin de la guerre, il y avait des festou noz toutes les semaines. Pour nous, il n’y a eu rien de changé, je veux dire. C’est après que tout cela a essaimé là où il n’y en avait pas.

Qu’est-ce que tu appelles la « grande bouffe bretonne » ?

C’est les années 71 à 74. On s’est servi de tout pour faire du fest noz. J’ai vu, par exemple, Diaouled Ar Menez venir soutenir les gars du RPR à Ploemeur. Il y a eu des tas de choses … honteuses d’ailleurs : c’était quand même des nationalistes bretons ! Quand tu penses que le fest noz rapportait 80 000 F., les musiciens recevaient 2 000 F. et les autres avaient fait un bénéfice de 80 000 F. pour leur parti politique, les Gaullistes ! J’ai eu mal au cœur tout de même, tu sais. Alors que nous, quand nous voulions faire quelque chose pour les Bretons, pour nos écoles, nous avions du mal à ramasser 2 000 F. Mais ces gens-là en ont profité. Comme il y avait plein de monde, ils ramassaient de l’argent. Ce monde là ne venait pas quand c’était organisé par les Bretons. Mais là, c’était organisé par le RPR, tu comprends. C’est pourquoi j’ai appelé cela « la grande bouffe bretonne ». Ça a été le fest noz des Anciens d’Algérie, le fest noz de ceci ou de cela, … mais ça n’a rien à voir avec les Bretons. Et nous autres, Bretons, étions incapables d’exploiter cela pour la Bretagne, pour nos journaux … on ne pouvait pas parce que ces gens-là ne venaient pas écouter ce qu’organisaient les Bretons. Ils ne venaient que pour leur organisation personnelle. Si tu faisais quelque chose pour Diwann, les Anciens d’Algérie ne venaient pas. Ils ne faisaient que profiter des artistes pour leur truc et les artistes ont marché là-dedans à plein tube.

Pas moi !

Ni Servat ?

Ah non. Gilles, certainement pas ! Alan Stivell non plus. Mais les groupes, oui. Ça a été la grande bouffe bretonne ! A Rostrenen, il y avait 5 groupes, de talent d’ailleurs. Ils avaient du talent mais c’était l’exploitation du folklore. Toutes les semaines, tous les jours, il y avait du fest noz. Mais ce ne sont pas eux qui nous ont attiré plus de monde.

Je te le disais l’autre jour : c’est faux de croire qu’à cette époque là, j’avais un public plus nombreux, c’est faux. J’ai toujours eu des salles de 200, 300, 500 personnes, comme j’ai eu cet été. Dans les cabarets, 100 personnes, dans les petites réunions, 200, un peu plus dans certains coins mais cela a toujours été mon public, je n’ai pas connu d’autre public.
Et je rigole doucement en pensant à tout ce qu’on a dit. Quand je tournais, en 70-71, avec Léo Ferré, on a fait 19 galas sous chapiteau. Notre maximum a été 700 personnes : le chapiteau était plein. Le lendemain, je lisais dans les journaux qu’il y avait 2 000 personnes. C’est faux, tout cela ! D’ailleurs, le chapiteau faisait 1 100 places et il fallait tasser tellement qu’il n’y avait plus moyen de mettre de scène.

Il y a eu Stivell qui a été un phénomène de « mass média ». Pour te dire, en 1971, avant qu’il ne fasse l’Olympia, donc en avril, j’ai été voir Stivell avec son groupe au théâtre de Saint Brieuc. Nous étions 120 à l’écouter et quand je dis 120, il n’y avait que le bar qui était plein. J’étais avec Duclos et d’autres … La même année, au mois de mai, après son passage à l’Olympia, il y avait à Saint Brieuc un chapiteau de 2 500 places et on a refusé du monde !

Donc, Stivell a été un phénomène, sans que sa valeur artistique soit mise en cause là-dedans. Un phénomène parisien, lancé par Paris sur la Bretagne mais Stivell a toujours dit qu’il le cherchait, cela, et ce n’était pas mal : il a désenclavé la chanson bretonne, la « chose » bretonne. Mais cela a été un phénomène de courte durée : ça a duré 2 ans !

Il a pu faire un peu d’argent ?

Mais non ! On a dit des tas de choses sur Alan : Alan est aussi pauvre que moi. A ce moment là, il touchait 2 % de royalties sur ses disques, prix de
gros, parce que c’était son premier contrat pour 7 ans qui était en cours. Ensuite, il a été très peu payé au départ : demande à ses musiciens. La première année, il a fait une tournée sous-payée et la deuxième année, ça commençait déjà à claquer. Il n’a fait que deux tournées en France. La première année, il faisait le plein partout mais il a été plus exploité qu’autre chose. Il était avec Jouan. Et il ne faut pas oublier que ce qu’il faisait coûtait très cher : amener tout le matériel qu’il avait, avec deux camions. Il fallait payer les techniciens, il fallait payer tout le monde. Il faut avoir du cachet. Non, ne vous faîtes pas d’illusions …

Tu as fait une tournée avec Léo Ferré …

J’en ai fait plusieurs. L’une en 70 : on a fait 6 galas. L’autre, l’année suivante. Ça a très bien marché.

Dans tes rapports d’homme à homme avec Ferré, tu te situais comment ?

Ferré, je le connais depuis très longtemps. Je l’ai connu grâce à Paul Guimard et à Benoit Groult qui était un ami de Madeleine. On a fait des émissions ensemble, on se rencontrait comme cela. Puis, je l’ai fait venir à Glomel, il venait chez moi. Nous sommes devenus des amis. Mais je le connaissais depuis 64-65 …

Je connaissais Brassens, aussi. Mais Brassens, lui, sortait moins, il était moins liant. Brassens, c’était quand j’arrivais à Lézardrieux, il arrivait avec sa pipe et il m’écoutait. Et puis, on allait manger chez lui. Très sympa … Il apprenait le Breton : il avait acheté l’Assimil et tout !

Et Jacques Brel ?

Jacques Brel, c’est autre chose. Je ne l’ai vu que sporadiquement. C’est le premier que j’ai vu d’ailleurs. Je l’ai connu à l’Echelle de Jacob, je suis tombé malade après.
J’ai chanté avec lui, à Liège. J’ai fait sa première partie, sa « vedette anglaise », à Annecy, à Namur, Liège. Je l’ai revu plus souvent quand nous étions tous les deux chez Barclay, nous mangions souvent ensemble.

A l’époque de « Sodome » ?

De « Sodome » oui, puis de « Hommage à Morvan Lebesque ».

A propos de Brel, tu avais eu une réaction que j’ai trouvée surprenante au moment de sa mort. On te demandait, dans un journal, comment toi, défenseur d’une minorité, tu te situais par rapport à sa haine des Flamingants. Tu as répondu que tu considérais cela comme une réaction d’homme malade alors que cette haine était bien antérieure à sa maladie … ?

C’est une autre histoire. Je vais essayer de résumer.
Brel était Flamand, il écrivait ses chansons en Français et en Flamand. Il maniait le Flamand de façon magistrale. Il a d’ailleurs enregistré « le Plat Pays », entre autres, en Flamand. Un jour, il a fait la chanson « les Flamandes ». C’est une chanson très gentille mais les Flamingants ont très mal pris cela. Il est venu chanter à Knocke le Zout, au Casino, et les Flamingants sont venus manifester, lui crever sa voiture, lui lancer des tas de choses dans la figure, tout cela pour cette chanson, « les Flamandes ». C’était une chanson où il n’y avait pas de quoi fouetter un chat, il était heureux de l’avoir faite. Mais, à partir de ce moment là, ça été fini. Il s’est mis à leur en vouloir. Et c’était à l’époque où la Belgique n’était pas encore régionalisée, il y avait donc ce fossé énorme entre Flamands et Wallons. Maintenant qu’il y a un parlement flamand et un parlement wallon, ils se disputent moins, on entend beaucoup moins parler. Ca se passe très bien. D’ailleurs, les congrès des partis socialistes flamand et wallon se passent ensemble, c’est dire s’il y a moins de problème de ce côté là.

Quand Brel a quitté la chanson, en 1969, il est parti avec cette notion d’antagonisme et quand il revient, dix ans après, il fait cette fameuse chanson sur son dernier disque. Il a même choqué les Wallons, les Wallons n’ont pas compris. Il n’était plus dans la course, il était lui aussi déphasé. Il ne vivait plus en Belgique et cette chanson n’avait plus de raison d’exister. Et surtout : « je vous interdis d’obliger mes enfants à aboyer le Flamand » ? Le Flamand, c’est sa langue ! Et contrairement à ce que l’on pense, on n’aboie pas le Flamand. C’est une très belle langue. D’autant plus qu’il l’a dit lui-même et qu’il a passé son temps à écrire en Flamand. Donc, c’était une chanson de mauvais esprit et, arrivant dix ans après, ce sont les Wallons eux-mêmes qui n’ont pas très bien compris.

Brel était complètement à côté de la plaque et je trouve que son disque a été sali par cette chanson. D’abord, c’est pas très intelligent, c’est pas très brillant. C’est polémique mais polémique méchant. Il aurait pu se moquer d’eux, pourquoi pas ? Il n’avait pas digéré ces manifestations contre lui à propos d’une chanson. Et je le comprends très bien . Moi aussi, je me suis moqué des Bretons avec des chansons comme « les Amicalistes ». Si j’avais vu tous les Bretons venir me siffler et me casser ma voiture, je n’aurais pas été très heureux non plus.
Brel s’est contenté de gueuler …

Il y a eu aussi des réactions aux « Amicalistes » de la part des Bretons de Paris …

C’est pour eux que je l’avais écrit. Et ils ont envoyé une lettre à tous les journaux demandant que les journaux fassent un blâme à Glenmor. Certains m’ont prévenu : « Tu sais que tu va être blâmé à propos des « Amicalistes » ? » Personne n’a osé. Il ne manquerait plus que cela ! C’est pour te dire, Brel aurait du oublier tout cela. Et surtout, venant dix ans après, il n’y avait plus lieu d’écrire cela puisque la réforme a eu lieu en Belgique. Et c’est bougrement bien fait, les compétences sont autrement diffusées qu’ici. Quand tout s’arrangeait, Brel débarque avec cette chanson. Même ma belle-mère, qui est Wallone, n’a pas trouvé ça très bien. Je n’ai pas dit que c’était à cause de sa maladie mais j’ai dit qu’il était à côté de la plaque. Revenant dix ans après, il aurait du d’abord étudier ce qui se passait en Belgique.
Voilà.

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Ton nom, GLENMOR, il est tombé du ciel ou tu l’as choisi pour une raison précise ?

Je ne sais plus très bien pourquoi je l’ai choisi. Glen : la terre et Mor : la mer, je ne sais pas très bien pourquoi j’ai choisi cela. J’ai trouvé que c’était bien, que ça sonnait bien. D’autant plus que Milig Ar Skanv, c’était trop dur à prononcer. Personne n’y arrivait, il fallait être bretonnant pour prononcer cela. La terre et la mer, je trouve que cela allait très bien. Je ne me souviens plus quand j’ai choisi cela, ni comment. C’est venu un jour …

Puis, il y a des tas de choses que tu fais comme cela, par instinct. Tu ne sais pas très bien pourquoi ni comment. C’est comme les chansons : je ne sais pas très bien quand je les écris. J’ai une petite idée qui me trotte en tête et tout à coup, dans un bistrot, n’importe où, j’écris la chanson. C’est comme ça, on ne sait pas très bien …

Par contre, je suppose que pour écrire un livre comme « la Septième Mort », tu adoptes une méthode plus réfléchie ?

D’abord, pour faire un livre, il faut travailler davantage. Non, ce n’est pas travailler davantage : c’est une construction différente. « La Septième Mort » était au départ trois fois plus importante. Et j’ai supprimé. J’ai supprimé les textes explicatifs pour ne conserver que les poèmes. C’est un travail de longue haleine. C’est comme le roman que j’ai en vue, ça ne s’écrit pas comme ça. J’y travaille de temps en temps mais je ne suis pas un grand travailleur. Je ne peux pas, moi, me mettre à écrire comme ça. Il y a des jours où je vais écrire, d’autres où je ne peux pas. Je peux être trois mois sans écrire et, un beau jour, ça me reprend. Je n’écris jamais que quand je me sens bien pour écrire. Autrement, je n’écris pas. Je pourrais me mettre à écrire, comme ça, plus régulièrement et sans doute écrire aussi bien, ce n’est pas le problème, avec autant d’idées. Non, j’écris quand ça vient. Je n’aime pas écrire en faisant les trois huit. Je connais des gens qui se mettent au boulot, de telle heure à telle heure, et ils travaillent. Moi non, j’écris quand ça vient. Quand ça vient, ça vient et quand ça ne vient pas, ça ne vient pas ! Je ne suis pas obnubilé par la production …

Il y a cependant des circonstances qui t’obligent à écrire plus vite : on pense aux textes de circonstances comme « Hommage à Morvan Lebesque » ou « In Memoriam » pour Xavier Grall qui se trouvent liés à des contingences précises. Est-ce que cela change ta manière de travailler ?

A un moment, j’étais en train de dire que je passais mon temps à écrire les panégéryques de tous les copains qui meurent. Qu’est-ce qu’il en est tombé : Morvan Lebesque, Xavier Grall, d’autres copains … Il y a eu « E-dibenn Mirz Gwengolo ». Et encore, je n’ai pas fais tout ce que j’avais à faire. Il y a eu Jean Claude Jegat, j’ai failli faire une chanson sur lui. Et je me suis dit que je n’allai pas passer ma vie à écrire des éloges funèbres. Ce n’est tout de même pas ma faute s’ils meurent avant moi ! Quand ça va être mon tour, il n’y aura personne pour le faire. Je pense qu’il faudra que je le fasse moi-même …

On remarque, malgré tout, qu’au niveau de ces textes-là, tu as une inspiration différente : on peut dire qu’il y a alors un plus grand sens de « l’humanité » …

Tu sais, quand tu as été longtemps attaché à un ami, tu as le coup de l’émotion. Mais il ne faut pas écrire sous le coup de l’émotion. Je n’écris jamais sous le coup de l’émotion vive. Il faut laisser se décanter un peu. C’est le tort des jeunes qui écrivent sous le coup de l’émotion vive : ils s’imaginent qu’ils auront plus d’idées. Tu entends alors des tas de choses : « mon amour est fini, je vais me suicider parce que tu m’as quitté … » C’est ridicule parce qu’avec des mots bien plus simples, tu fais passer beaucoup plus de choses. Alors, il faut laisser se décanter. Mais j’avoue que pour « Hommage à Morvan Lebesque », j’ai écrit au studio. J’ai pris ma guitare et j’ai improvisé. C’est de la pure improvisation.

Le résultat est satisfaisant !

Peut-être … J’ai essayé deux ou trois choses et c’est celui là que j’ai gardé. Il venait de mourir et j’étais en train d’enregistrer. Je n’avais pas le temps de répéter, j’ai pris ma guitare, je me suis approché du micro et j’y suis allé …
Autrement, je crois que c’est un des secrets de la poésie : ne jamais écrire sous le coup d’un sentiment fort, quel qu’il soit. Il faut toujours parler d’un sentiment fort avec beaucoup de recul. C’est là que tu trouves les mots justes. Si tu veux faire partager tes émotions, il faut employer un langage qui entre chez les autres et non pas celui qui sort de chez toi.

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L’avenir ?

L’avenir ? Je vais te dire une chose : mon avenir est déjà derrière moi. Alors, je n’ai plus qu’à pousser en avant. A mon âge, on ne calcule plus en termes d’avenir. Pour l’avenir, où je suis triste, c’est qu’il n’y a personne derrière dans ce sens que Gilles et moi, Alan aussi, avons donné tout ce que nous pouvions pour le métier. Il n’y a plus personne, c’est fini.
Il y a certainement des gens qui essaient de faire quelque chose mais il n’y a plus de voix pour la Bretagne. Et ça, c’est étonnant, il y a un sacré trou. Cela reviendra sûrement, mais pour le moment … Je vois des chanteurs, des jeunes chanteurs, qui travaillent très bien, là n’est pas la question, mais dans le sens que je donne à notre métier, c’est-à-dire se servir de la chanson comme moyen de combat. il n’y en a plus beaucoup, il n’y en a même plus du tout. Cite m’en un ! A moins que ce soit des jeunes que je ne connaisse pas. J’aimerais bien …
On se sert du folklore breton, on se sert de la musicalité bretonne pour faire des choses très bien, mais en dehors de cela, il n’y a plus personne pour prendre la parole, pas de jeunes pour prendre la parole dans leur époque. Ce n’est plus mon époque, qu’on le veuille ou non. Je ne pourrais pas redevenir jeune donc je ne pourrais pas parler pour les jeunes. Nous étions peut-être maladroit mais nous parlions pour notre génération.
C’est difficile : je ne peux pas prendre l’argumentation des jeunes d’aujourd’hui. Ils me diraient : « Eh ! Où est-ce que tu vas ? » Ils penseraient que je fais de la récupération. Ca ne va pas, ça. Non, il faut que les jeunes s’expriment et malheureusement, je n’en vois pas. L’été dernier, je buvais un pot avec Gilles et je lui dis : « dis, qu’est-ce que tu vois derrière nous ?
Rien, mais de toute façon nous ne sommes pas encore partis ! »
Non, on n’est pas partis mais on aimerait bien quand même qu’il y ait quelqu’un par derrière. Je pense que les jeunes manquent peut-être de confiance en eux-mêmes ou bien, je ne sais pas, pour eux aussi, c’est dur, c’est très dur. Il faut s’accrocher et puis, c’est un métier où rien n’est jamais gagné.

C’est un peu général, même au niveau de la France, il y a un trou …

C’est exact, il y a un trou. Et ce n’est pas les jeunes comme Delahaye ou autres qui pourront boucher le trou. Derrière Brel, Brassens, Charles Trénet, qu’est-ce qu’il y a ? Il n’y a pas grand’chose derrière.
Les jeunes vont à la facilité. C’est dû, pour une part, à l’instrumentation, l’électrification de tout le système qui permet à n’importe qui de faire du bruit et un bruit à peu près audible. Tu as l’appareil, tu le programmes et tu as du bruit ! Je vois, ici, Pierre (le fils de Milig et de Katell. NDLR) est venu l’autre jour avec ses copains qui ne savent pas jouer trois notes de guitare. Eh bien, ils font du bruit. Ils font du bruit aussi bien que les autres, d’ailleurs. Est-ce qu’il n’y a plus de gens pour travailler ? La musique c’est pas donné.
Maintenant c’est trop facile. Il suffit de faire WOUAH ! WOUAH ! et ça marche, avec tous ces systèmes. Il suffit de mettre des trucs répétitifs, tu programmes ta batterie et voilà ! Regarde ici : je leur donne une guitare, ils ne sont pas capables de jouer deux notes correctes. Ils n’accordent même plus leur guitare. A quoi ça sert ? On a les appareils pour arranger tout cela, alors …

On peut tout de même espérer que la technique va aider des jeunes à sortir du rang parce qu’ils ont quelque chose à dire ?

Mais bien sûr ! Avec la technique, on peut faire des tas de choses. Tôt ou tard, tout cela va se décanter.
Il y a eu les Beatles, c’étaient tout de même de sacrés musiciens. Ils avaient des mélodies superbes, c’était joli et c’était travaillé. Ce n’était pas de la roupie de sansonnet. Ce n’était pas n’importe quoi, je veux dire.
Mais les groupes, maintenant, regarde un peu !

Il y a peut-être aussi un problème de générations : on aurait tendance à négativer ce que font les jeunes. Tu sembles un peu désabusé à ce niveau là … ?

On a affaire à une génération que j’ai du mal à comprendre. Il y a des jeunes ici, ils viennent parfois avec leurs amis. Tout ce monde-là va rester ici trois heures de rang. Tu passes là dix fois, vingt fois, rien ! Ils ne parlent pas : bof ! Bah ! … Ils n’ont pas de discussion, ils n’ont pas de conversation. Ils sont ensemble mais c’est pour être ensemble, ce n’est pas pour faire quelques chose ensemble.
Non, Pierre essaie de faire quelque chose : il s’occupe de l’Ethiopie. Avec des amis, il a organisé des spectacles qui ont permis d’envoyer un million à Médecins sans Frontières (Milig parle ici en anciens francs. NDLR.) Mais cela, ils le font une fois tous les trois ans. Autrement, ils restent là, c’est la « glandouille » : rester là pendant des journées entières … A leur âge, on ne m’aurait pas enfermé dans une maison. A 18 ans, n’importe où plutôt que dans une maison !

A cette époque là, les parents ne comprenaient pas toujours ce besoin de liberté et de mouvement

Peut-être.
Mais nous essayons de les secouer, de leur dire : « allez vous promener, faîtes quelque chose ! » Tu as vu les ballades que l’on peut faire par ici ? Non, ça ne les intéresse pas.
Et puis, leur rêve, c’est d’avoir la voiture. La moto d’abord, puis la voiture. Alors, ils n’en sortent plus. C’est marrant ça ! Et surtout, ils ont accepté la société de charité. C’est une chose très grave, accepter la société de charité ! Nous, nous nous sommes battus pour avoir une société de justice. Celui qui accepte la société de charité n’est plus un révolutionnaire. Il accepte les données qu’il y a : il y a des riches, il y a des pauvres. On va essayer d’en prendre un peu aux riches pour donner aux pauvres. C’est cela, la société de charité.

Est-ce que certains révolutionnaires n’ont pas préparé cela en prônant la solidarité à outrance ?

Le révolutionnaire créé la société de justice. Il se bat pour cela c’est-à-dire une société où il n’y aura pas de riches qui soient trop riches et de pauvres qui soient trop pauvres. Répartir le bien commun entre tous, c’est la société de justice, la société révolutionnaire.
Maintenant, on accepte tout et en plus de cela, on est consommateur. On ne cherche pas à créer, on veut consommer. On traite les vieux de bourgeois parce qu’ils sont ceci ou cela mais il n’y a pas plus bourgeois que les jeunes ! Je n’ai jamais vu cela de ma vie : ils sont tout le temps en train de demander de l’argent aux parents comme s’ils ne pouvaient pas faire quelque chose pour en avoir un peu.
Certains le font : mon fils a travaillé tout l’été pour avoir son argent de poche, il ne me demande jamais rien. Ma fille, c’est pareil. Elle a travaillé une année au pair en Angleterre. Elle n’a pas besoin de moi. Elle a été élevée chez ma mère, de façon paysanne …
Dans les villes, ils sont là, en bande, en train d’attendre le pognon des parents pour faire quelque chose. Comme si c’était un dû ! Et ce sont des consommateurs, ils veulent tout avoir. Ils vivent comme si on leur devait 50 000 Frs par semaine pour faire la foire. Et ils te disent : « avec ça, on ne peut même pas délirer. » Voilà ! Délirer ! Avoir de l’argent pour délirer !
Moi, je trouve cela d’un lugubre, tu ne peux pas t’imaginer. Comme si c’était naturel qu’on leur donne de l’argent pour délirer sans qu’en contrepartie, ils ne soient obligés de rien faire. C’est abominable et c’est la jeunesse que je vois. Ils ne cherchent pas à travailler ou, s’ils cherchent, c’est en se débrouillant pour ne rien trouver. Et pourquoi ? On est bien chez les parents ! La « glandouille », quoi ! C’est triste. La plupart ne cherche pas à faire quelque chose qui leur assure une certaine indépendance. Tu me diras : « ce n’est pas facile. » Certains réussissent, pourquoi pas d’autres ?

Ce n’est donc pas vrai pour tous les jeunes ?

Non, c’est particulier aux petites villes. Ce n’est pas vrai en campagne. Les fils de paysans travaillent à la ferme. Ils n’ont d’ailleurs pas du tout le même esprit.

Ils travaillent à la ferme ou … ils partent !

Même ceux qui travaillent en dehors aident leurs parents pendant les vacances. Mon fils joue au football avec des fils de paysans et ils travaillent. Les parents leur donnent de l’argent mais ils travaillent. Et ils ne sont pas tristes, ce sont des types rigolos. Ils ne demandent rien à personne. Tandis que dans les bourgs, il y a les bistrots : ils se retrouvent là. Et puis, il y a le hachisch … Si encore c’était bon ! Mais non !

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