Jean II, duc de Bretagne, meurt à Lyon en 1305.

Jean II, duc de Bretagne, meurt à Lyon en 1305.

1305 à Lyon : au passage du cortège papal dans la montée du Gourguillon, un mur s’écroule. Blessé, le duc de Bretagne, Jean II, succombe à ses blessures quelques heures plus tard.


Le règne, très court, du pape Benoit XI s’achève. Philippe le Bel tient la France d’une main énergique mais ses rapports avec la papauté ne sont pas toujours sereins.
Il réussit à faire élire Bertrand de Got, un Gascon, qui prend le nom de Clément V. La situation à Rome est confuse et les Italiens ne sont pas très favorables à l’arrivée d’un Français. Clément V prèfère donc se faire couronner à Lyon …


Lyon. Cathédrale St Jean où se rendait le cortège …

« Après que le nouveau pape eut coiffé la tiare à trois cornes, me dit Sulpice, il traversa la ville en tête du cortège, chevauchant un cheval blanc tenu à la bride par le Duc de Bretagne et Charles de Valois. Le roi Philippe venait ensuite précédant les cardinaux et les autorités civiles. C’est en descendant vers le coeur de la cité que se produisit l’incident.
Le chemin que le cortège venait d’emprunter était surplombé de hauts murs lézardés, surchargés d’une population délirante. L’un de ces murs s’effondra au moment où le pape le longeait. Sous l’avalanche de moellons et de terre, le cheval s’écroula, projeta le pape à terre et la tiaire dans le ruisseau. Au milieu de la terre, des hurlements de la foule et des gens du cortège, on se hâta de relever le pontife qui ne souffrait que de contusions. En revanche, on retira des gravats douze cadavres et des blessés. Parmi ces derniers, le duc de Bretagne : il devait mourir quelques heures plus tard de ses blessures. »

(in la Tour des Anges de Michel Peyramaure. Laffont. Paris 2000.)


L’intérieur de St Jean

Outre sa faculté (involontaire !) à faire écraser les Bretons, le pape Clément V n’a pas laissé un très bon souvenir dans l’histoire des souverains pontifes. Présenté comme la créature de Philippe le Bel, il s’est enrichi de manière éhontée sur le dos du peuple d’Occident qui survivait difficilement à cette époque victime de famines à répétition. Il fut également un ferme partisan du népotisme au point que la curie était essentiellement composée de Gascons, dont une bonne partie était ses neveux ou les féaux de ceux-ci. Il inaugure aussi la papauté en Avignon où il s’installe en 1309.

Mais il est surtout resté dans l’Histoire comme le pape qui mit un terme à l’épopée des Templiers. Ceci s’est passé au Concile de Vienne (actuellement en Isère) en 1311-1312. A ce concile, bizarrement, tous les cardinaux ne sont pas conviés : on y trouve beaucoup de Français et des Italiens.
Le 20 mars 1312, estimant sans doute que les choses s’éternisaient, Philippe le Bel, accompagné d’une troupe impressionnante, parait à Vienne. Deux jours plus tard, la bulle de Clément V, Vox in Excelso, supprime l’ordre des Templiers (en fait, contrairement à ce que l’on pense, il ne le condamne pas … cela se fera plus tard).

Le 18 mars 1314, Jacques de Molay est brûlé vif à Paris, sur l’Ile aux Juifs, non sans avoir maudit ses bourreaux et leur avoir promis de les retrouver très bientôt : « Pape Clément, Chevalier Guillaume, Roi Philippe … avant un an, je vous cite à comparaître au Tribunal de Dieu pour y recevoir votre juste châtiment ! Maudits ! Maudits ! Maudits ! Tous maudits jusqu’à la treizième génération de vos races.

Le 20 avril, Clément V meurt en Avignon.
Fin mai, Guillaume de Nogaret (un des principaux acteurs du procès) cesse de vivre.
Le 30 novembre, Philippe le Bel tire, à son tour, sa révérence.

Mais, me direz-vous, le Duc de Bretagne dans tout cela.
Pour lui, bien sûr, les affaires sont classées : sa dépouille est ramenée en Bretagne et il est enterré dans le couvent des Carmes de Ploërmel (Morbihan) qu’il a fondé en 1270 quand il n’était que comte de Richemont.


Lyon : les hauteurs qui dominent la Saöne …

Actuellement, le visiteur peut découvrir son enfeu dans l’église Saint Armel (beau monument du XV-XVIème siècle dont nous aurons l’occasion de parler). Le gisant, qui côtoie celui de son fils Jean III, est en albâtre et est l’oeuvre, vraisemblablement, d’un artiste anglais. Bien sûr, ce n’est pas l’enfeu d’origine, 1789 est aussi passé par là …


Montée des Gourguillonts, aujourd’hui.

Pour en finir avec l’épisode lyonnais, on raconte, dans la capitale des Gaules, qu’un des joyaux de la tiare pontificale se serait détaché au moment de la chute pour rouler dans le caniveau. On ne l’a jamais retrouvé mais certains affirment (des mauvaises langues, sans doute) qu’il y a des Lyonnais qui le cherchent toujours !

Mais revenons à la Bretagne de Jean II : quelle est sa situation et quelle fût l’attitude de ce duc ?

Vers un état moderne …

Quand il accède au pouvoir en 1286, Jean II hérite d’un duché en pleine expansion. Son grand-père, Pierre 1er, dit Mauclerc, (voir notre page sur Saint Aubin du Cormier) « bailliste » du Duché de 1213 à 1237, a considérablement accru le nombre des territoires placés sous sa domination directe et son fils, Jean 1er, dit le Roux (1237-1286), a continué cette extension. L’un comme l’autre n’ont pas lésiné sur les moyens et il faut dire que, dans bien des cas, il n’ont pas fait preuve d’un altruisme exemplaire. A la force des armes, ils ont souvent préféré des moyens plus « légaux » poussant par exemple certains seigneurs à la faillite pour leur racheter des biens à vil prix.

A cette volonté d’expansion territoriale, ils ont ajouté un souci d’organiser le Duché comme un état moderne en le dotant, en particulier, d’un système administratif élaboré et bien contrôlé.
De cette époque date ainsi la subdivision de la Bretagne en 8 baillies (ou sénéchaussées) correspondantes aux anciens comtés : Vannes-Broerec, Cornouaille, Penthièvre, Léon, Tréguier, Nantes, Rennes et Ploërmel.

Pierre Mauclerc et Jean le Roux furent également des bâtisseurs dotant le Duché de forteresses, en particulier sur ses marches et enfermant les principales villes dans un système de fortifications qui fera ses preuves par la suite.

Enfin, conscients que leurs vassaux pouvaient difficilement s’acquitter de leur devoir d’ost (par manque de finances, bien souvent), ils jettent les bases d’une armée de métier même s’il faut parfois aller chercher les mercenaires à l’étranger. En 1234, Mauclerc soldera ainsi 3 000 Gallois que lui envoie le roi d’Angleterre et qui laisseront un très mauvais souvenir aux habitants du Coglès en particulier.

France et Bretagne …

Pour ce qui concerne les relations entre France et Bretagne, les choses vont évoluer tout au long du XIIIème siècle. Au début de son règne, Mauclerc s’accomode de la présence de son puissant voisin et parait même vouloir être un vassal relativement fidèle. A la mort de Philippe Auguste (1223), sa position change et il se rapproche davantage du roi d’Angleterre. Il participe activement à 4 révoltes entre 1227 et 1234, sans grand succès d’ailleurs. En 1234, devant les risques que font courir au Duché la présence d’une grosse armée française aux frontières (depuis la Normandie jusqu’à la Loire), Mauclerc est contraint de négocier puis de quitter la vie politique en 1237 à la majorité de son fils Jean.

Jean le Roux semble, dans ce domaine, plus mesuré que son père. Plus retors, aussi. D’un côté, il ménage les Anglais, de l’autre, il s’applique à faire semblant d’être, pour le roi de France, un vassal modèle. En fait, seul, son Duché le préoccupe ! Tous ne sont pas dupes de son art de la simulation et quand, en 1237, il fait hommage lige au Français, la chancellerie met le serment par écrit et exige la contresignature de six barons bretons.
Cette position, jamais vraiment tranchée lui permettra de s’occuper davantage des affaires de son duché et de laisser à son fils une situation en parfait état tant sur le plan financier que politique et militaire.


Enfeu des ducs dans l’église de Ploërmel.

Un duc pieux …

Face au roi de France, Jean II ne sera pas Mauclerc, il ne sera pas non plus le Roux. Très influencable, il subira la totale ascendance de Philippe le Bel. Même s’il a pensé, vers 1294, tisser des liens plus étroits avec son beau-frère, Edouard 1er d’Angleterre, il n’a de cesse de servir les intérêts du roi de France.

Jean II est connu pour sa piété. Il est prudent et passe pour économe bien que, dans son testament écrit en 1302, il sacrifie allègrement 60 000 livres dans un legs pour une hypothétique croisade. De même, il dote volontiers son entourage (sans oublier les domestiques !) et les institutions religieuses. Il n’en reste pas moins qu’à sa mort, on le crédite d’une réserve équivalente à 160 000 livres tournois.

En remerciement pour la fidélité de son duc, Philippe le Bel donne à la Bretagne le statut de duché-paierie, ce qui permet à Jean II de siéger à la cour des Pairs de France et flatte l’amour propre de ce duc que l’administration française feignait de ne considérer jusque là que comme un comte. La non-reconnaissance de son titre de duc le mettait donc au simple niveau des autres grands d’Armorique tel le comte de Penthièvre.

Le revers de la médaille est, bien sûr, l’introduction dans le duché de lois françaises souvent mal comprises et toujours mal acceptées au détriment des anciennes coutumes de Bretagne (l’incapacité des femmes à accéder au trône, par exemple, causera bien des déboires aux Bretons).


Sceau et contre-sceau de Jean II

Avec Jean II, la Bretagne entre donc dans l’orbite française et il faudra attendre la guerre de Succession (1361-1364) et le règne de Jean IV de Montfort pour que les choses évoluent.

Voilà donc, brièvement, un portrait de celui qui acheva tristement sa carrière sur les buttes qui dominent la Saône dans la capitale des Gaules.

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