Le Combat des Trente

Le Combat des Trente

Autour du COMBAT des TRENTE (1351) …

Le 30 avril 1341, à la mort du Duc Jean III, s’ouvre en Bretagne une crise qui va durer un quart de siècle. Cette « guerre de succession » n’est, dans l’historiographie officielle française, qu’un épisode de la Guerre de Cent Ans et l’on y oppose volontiers Anglais (les méchants) et Français (les bons) sans se soucier de situer vraiment les enjeux qui poussent la noblesse bretonne à se scinder en deux et à s’enfoncer dans une guerre civile qui va mettre le duché à feu et à sang.

Si peu de gens, même parmi les Bretons, connaissent cette triste page d’histoire, tous on entendu parler du Combat des Trente qui opposa, à la fin mars 1351, soixante chevaliers des deux camps : 30 Franco-bretons pour le parti de Charles de Blois et 30 Anglo-bretons pour le parti des Montfort.

Jean FROISSART (né vers 1337 et mort après 1404), narrateur enthousiaste des hauts faits de chevalerie, en a fait un récit complet et a ainsi contribué, avec Jean le Bel dont il s’est beaucoup inspiré, à faire de cette journée de joute un des grands moments de la guerre de Cent Ans (voir Croniques de France, d’Engleterre et des païs voisins, écrit vers 1370).

Ce moment de la guerre de succession de Bretagne n’eut aucune influence sur le cours des opérations militaires mais il est intéressant de considérer le rôle qui lui a été dévolu et la façon dont on l’a finalement sorti de son contexte pour l’inclure dans la suite d’une mythique histoire de la France une et indivisible.

Pour Froissart, ce fut « un moult haut, un moult merveilleux fait d’armes ». Pour les hommes politiques du XIXème siècle, à Paris comme à Vannes, ce ne fut rien d’autre qu’une des nombreuses preuves de l’attachement des Bretons à leur mère-patrie : la France !

Mais rappelons brièvement les faits.
Le duc Jean III meurt donc en 1341, sans héritier légitime direct. Son frère, Guy de Penthièvre, mort dix ans plus tôt a eu une fille, Jeanne, qui épouse, en 1337, Charles de Blois, neveu du roi de France. Jean de Montfort, demi-frère de Jean III, peut également prétendre au titre de duc et ce d’autant que la coutume française, en terme de transmission des fiefs, veut que les puînés passent avant la fille de l’aîné. Le roi de France tient de plus sa légitimité du fait qu’on vient d’ériger en principe de succession l’incapacité des femmes. En toute logique donc, Jean de Montfort devait ceindre la couronne ducale même si son demi-frère et lui se détestaient chaleureusement. Philippe VI de Valois qui n’en est plus à une contradiction près mais qui voit là l’occasion de mettre la main sur le duché, prend fait et cause pour sa nièce par alliance, Jeanne de Penthièvre.

Jean de Montfort voit clair dans le jeu du roi de France et prend les devants : il s’octroie le trésor ducal que le duc Jean avait entassé à Limoges, lève une armée et occupe facilement les principales places fortes du duché (Brest, Hennebont, Vannes, Rennes, Suscinio et … Ploërmel). Dans les mêmes temps, il plaide par écrit sa cause auprès de Philippe VI. Sachant qu’il n’aura pas une réponse favorable de ce côté, il se rend en Angleterre et fait savoir que, pour lui, le véritable roi de France est le Plantagenêt. Edouard III accepte, nien sûr, l’hommage du Breton, lui donne l’investiture du duché et lui ajoute en cadeau le Comté anglais de Richemond. En septembre de cette même année 1341, les Pairs de France, réunis à Conflans, autorise Charles de Blois à prêter hommage pour le duché de Bretagne.

Tout est en place pour une guerre civile qui ne s’achèvera qu’en 1364 avec le premier traité de Guérande qui reconnaît les prétentions des Montfort à la souveraineté bretonne.

Mais revenons en 1351, dans la région de Ploërmel : la ville appartient toujours aux Montfort et elle est commandée par un Anglais, Richard de Brandenburg (ou Brembo) et regroupent, outre les anglais des Bretons et quelques mercenaires allemands. Josselin, par contre, à 12 kilomètres de là, est aux mains des partisans de Charles de Blois. Jean de Montfort, aux dires de Froissart, avait échoué devant ce château en 1341 ( » … mais était si fort qu’il ne put le prendre et s’en passa outre … »). Robert de Beaumont (pour Jean Favier), Philippe de Beaumanoir (pour Jean Pierre Leguay), Jehan de Beaumanoir (pour d’autres) ou Robert de Beaumanoir (si l’on en croit la plaque de l’actuel monument de Mi-Voie) commande la place qui domine la vallée de l’Oust. Les deux garnisons s’observent : cette guerre est une succession d’escarmouches, de raids d’une forteresse contre l’autre, d’opérations de pillages sur la campagne d’alentour. Les véritables victimes de tout cela sont les gens du peuple, les paysans qui fournissent, de gré ou de force et plus souvent de force, les vivres et le fourrage nécessaires aux deux garnisons. La situation, pour eux, n’est pas des plus faciles : ils sortent d’une décennie (1340-1350) de famines terribles sur le continent et la peste noire (1348-1350) a fauché jusqu’à la moitié des populations dans certaines contrées (même si la Bretagne a été moins touchée que d’autres régions de l’hexagone).

Ici, l’histoire officielle prête le beau rôle au capitaine de Josselin : ému par la détresse des paysans de la région, Beaumanoir aurait provoqué Brandenburg en duel pour régler entre soldats le problème de l’attribution du territoire à l’un ou à l’autre. En fait, les deux armées pratiquent le même genre d’occupation : chasse aux rançons, recherche de butin, incendie de récolte pour affamer l’adversaire, destruction de villages « stratégiques », meurtres et viols … La Bretagne n’échappe pas aux exactions que commettent par ailleurs les soudoyers de tous bords (l’exemple le plus célèbre en étant la façon de faire des routiers qui forment les Grandes Compagnies).

Pour certains historiens, le Combat des Trente est, plus qu’une bataille, une sorte de récréation dans cette guerre de position. Beaumanoir et Brandenburg s’accordent pour organiser une fête macabre, un tournoi à outrance entre chevaliers pour « l’amour de leurs dames ». Au départ, ceux de Josselin proposent seulement un duel entre deux ou trois combattants. Le capitaine anglais trouve cela un peu « léger » et se voit mieux à la tête de trente des siens pour en découdre sérieusement. On finit par se mettre d’accord sur un combat de trente contre trente, à cheval ou à pied, au choix de chacun : « allons en un beau champ, là où on ne nous puisse ni déranger ni empêcher. Et commandons sur la hart (sous peine de la corde) à nos compagnons d’une part et d’autre, et à tous ceux qui nous regarderont, que nul ne fasse aux combattants ni force ni aide. » Ce type d’action était courant à l’époque : au printemps 1356, il y aura en Espagne (Tordesillas) un tournoi de 50 contre 50 dans la cadre du conflit entre Pierre le Cruel et Henri de Trastamare.

La préparation du tournoi dure, selon Froissart, trois jours entiers et enfin, le samedi 26 mars 1351, la fête peut commencer. Les Français de Beaumanoir se font quelque peu attendre mais on finit quand même par s’étriper joyeusement. A tel point qu’il faut bientôt envisager une pause pour boire un peu et raccomoder quelques blessures. Il y a déjà deux morts chez ceux de Ploërmel, un seul côté Josselin. Et on recommence jusqu’au soir. Il n’y a pas vraiment de vainqueurs mais devant l’ampleur des dégâts, on décide de s’arrêter : le bilan final est de neuf morts côté Anglais (dont Brandenburg) et de six morts côté Français, certains, de part et d’autre, succomberont à leurs blessures. Mais ce fut une bien belle journée où les règles de chevalerie furent vraiment respectées … La tradition veut que les combattants de Josselin auraient été enterrés dans la chapelle de Saint Maudé à la Croix Hélléan. Ceux de Ploërmel auraient été ensevelis sur place dans un terrain près du champ clos appelé dès lors « le cimetière des Anglais ».

Michel de Mauny (« de Josselin à Ploërmel« . Editions Ouest-France. 1977) termine sa relation des faits en estimant que « cette épopée mérite de rester dans la mémoire des Bretons et dans les fastes de la Bretagne ».

En fait, cet épisode qui n’a rien d’épique n’a en aucune façon changé le cours de la guerre et les populations environnantes ont continué à subir les mêmes contraintes, la Bretagne est restée le théâtre de luttes intestines jusqu’au traité de Guérande.

En 1352, les deux armées s’entretuent à nouveau (mais cette fois « grandeur nature ») à Mauron : 800 morts pour Charles de Blois, 600 pour le parti des Montfort. En 1364, à la bataille d’Auray (ici, Beaumanoir tenta de s’entremettre pour éviter la bataille), les Blésistes perdront la moitié de leurs soldats soit près d’un millier et l’époux de Jeanne de Penthièvre est au nombre des victimes. Ce même parti avait perdu 700 hommes lors de la bataille de la Roche Derrien (1347).

Mais voilà : ces trois (grandes) batailles ont été perdues par le parti français et, à posteriori, le Combat des Trente vient à point nommé pour redorer le blason d’une chevalerie française mise à rude épreuve par ses revers face aux Anglais sur le continent (l’Ecluse en 1340, Crécy en 1346, prise de Calais en 1347, …)

Par la suite, dans la Bretagne devenue française, la royauté a besoin de symbole pour établir sa légitimité en Armorique. Bizarrement, une joute où le massacre est la règle du jeu hors de toute prétention politique, devient le symbole de l’aide que la Bretagne apporte à son grand voisin pour « bouter l’Anglais hors de France »! On oublie que le traité de Guérande donne le duché à Jean de Montfort, élevé à la cour des Plantagenêts, au détriment de Jeanne de Penthièvre, nièce par alliance du roi de France. Malgré la « victoire » de Beaumanoir, la Bretagne de Jean IV s’est affranchie de son état de dépendance par rapport à la France. A la reprise des hostilités entre Valois et Plantagenêts, en 1369, le duc refuse de s’engager auprès de Charles V même s’il n’empêche pas les routiers bretons, en mal de rapines, de s’enrôler autour de du Guesclin, devenu connétable de France, puis d’Olivier de Clisson qui lui succède. Jusqu’à la fin du siècle, la position ducale reste une épine dans le pied des Valois et les gêne considérablement dans leur lutte contre les Anglais.

Pour en revenir à la Lande de Mi-Voie, le souvenir de la victoire française a, bien sûr, été gravé dans la pierre. La première croix qui fut élevée pour commémorer l’évènement connut bien des déboires et fut en particulier la cible des soldats républicains de 1793. On trouve encore, surle terrain supposé de la joute, une ancienne croix qui porte une inscription en lettres gothiques et chiffres romains : « à la mémoire perpétuelle de la bataille des Trente que monseigneur le maréchal de Beaumanoir a gagné en ce lieu le 27 mars, l’an 1351 » (Pour Froissart, ce fut le 26). Au XIXème siècle, une fois terminés les temps troublés de la Chouannerie, le Conseil d’Arrondissement de Ploërmel voulut faire mieux. La chute de Napoléon entraînera des retards dans l’érection d’un monument à la hauteur de l’évènement. Ce n’est qu’n 1819 que la « pyramide » sera officiellement inaugurée. En fait de pyramide, il s’agit d’un obélisque en granit de 17 mètres de haut. On y a bien sûr apposé des inscriptions. Vous lirez ainsi sur la face est : « sous le règne de Louis XVIII, roi de France et de Navarre, le Conseil Général du Département du Morbihan a élevé ce monument à la gloire de trente Bretons ». Sur la face opposé, ce texte est traduit en Breton. Sur la face sud, enfin, vient cette épigraphe à la gloire de notre bon roi Louis XVIII : « Vive le roi longtemps ! Les Bourbons toujours ! Ici, le 27 mars 1351, trente Bretons, dont les noms suivent, combattirent pour la défense du pauvre, du laboureur, de l’artisan, et vainquirent des étrangers que de funestes divisions avaient amenés sur le sol de la patrie. Postérité bretonne, imitez vos ancêtres ». Ce jour là, les Anglais ont du beaucoup apprécier, eux que les nobles immigrés avaient à nouveau bien mis à contribution pour retrouver le trône !

De 1351 à 1819, la boucle est bouclée et au dessus des siècles, Louis XVIII et Jean II le Bon se serrent la main. La Bretagne se révèle telle que l’on veut qu’elle soit : royaliste et française !

Gérard Boulé. 1er novembre 2001.

BIBLIOGRAPHIE.
Tous les ouvrages qui traitent de la Guerre de Cent Ans évoquent le Combat des Trente. Citons celui qui fait autorité sur l’histoire générale de cette guerre :

Jean FAVIER. La Guerre de Cent Ans. Fayard. Paris 1980.

Dans Fastes et malheurs de la Bretagne Ducale (1213-1532) Editions Ouest France. Rennes 1982. Jean Pierre LEGUAY consacre le livre second (pages 97 à 131) à la Guerre de Succession de Bretagne. Chacun des trois chapitres se termine par une bibliographie exhaustive.

Enfin, les Chroniques de Jean FROISSART sont disponibles en 14 volumes aux Editions S. Luce et G. Raynaud & L; et A. Mirot. 1869-1966.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Licence Creative Commons
Sauf indication contraire, Istor Ha Breiz by Gérard et Gwendal Boulé est concédé sous licence Creative Commons Attribution-NonCommercial-NoDerivatives 4.0 International
%d blogueurs aiment cette page :