Henri Calindre

Henri Calindre

Henri Calindre (1907-1944), grande figure de la Résistance morbihannaise, écrivit, en Gallo, des monologues et des pièces de théâtre


Au cours des années 1970, il y eu en Bretagne Gallèse (la partie est où l’on ne parle pas le breton) l’amorce d’un mouvement de réhabilitation du parler gallo. Ainsi, en 1976, s’est créée à Plédéliac (Côtes d’Armor) l’association Les Amis du Parler Gallo qui publiait une revue intitulée Le Lian.
En 1977, lors des discussions sur la Charte Culturelle de Bretagne, partisans et adversaires de la sauvegarde du Gallo s’affrontent : le Gallo est-il une langue ou un « Français déformé » ?

Ce qu’il est advenu de ce mouvement, je ne saurais le dire : l’éloignement ne m’a pas permis de m’y intéresser davantage …

Pour ma part, je préfère utiliser les termes de « parler gallo » plutôt que ceux de « langue gallèse ». Même si j’ai appris à parler en Gallo, je n’ai jamais su l’écrire correctement et je ne suis pas le seul puisque toutes les tentatives pour unifier une orthographe gallèse ont échoué. L’écrire est difficile, le lire l’est tout autant surtout si le texte est transcrit par une personne qui n’est pas de votre commune : les accents changent parfois considérablement à quelques kilomètres d’intervalle.

Henri CALINDRE (1907-1944)

Certains pourtant, et bien avant les années 1970, ont écrit en Gallo et je voudrais ici rappeler le souvenir du Ploërmelais Henri Calindre qui,sur scène, se faisait appeler Mystringue et qui produisit un certain nombre de textes en « patois » : monologues, pièces de théâtre qu’il interprétait lui-même.
Il faut dire aussi qu’Henri Calindre fut une grande figure de la Résistance morbihannaise.

Notre auteur est né à Ploërmel, le 21 mars 1907. Son père était libraire, rue de la Gare. Il était aussi éditeur et fit ainsi publier, en 1917, le livre (célèbre ?) de l’abbé Marmagnant « Ploërmel, son église, ses monuments ».


Henri Calindre perdit son père très tôt et la famille connût des moments difficiles : la mère élevait seule ses trois enfants. Après des études secondaires au petit séminaire, Henri fut embauché comme clerc d’avoué chez Mr Lorieux. Il devint par la suite secrétaire de Mairie à Ploërmel.

Mobilisé en 1939, dès le début des hostilités, il rejoignit Bordeaux après la « drôle de guerre » et se retrouva finalement en Normandie où il fut démobilisé.

En février 1942 (il a repris son poste à la mairie), Henri Calindre rejoint la Résistance et en août, il entre au corps-franc « Vengeance ». Son rôle était alors d’enrôler et de former les nouveaux résistants sur la région de Ploërmel et peu à peu, il prend la responsabilité de l’ensemble des corps-francs du Morbihan : organisation des parachutages, récupération et répartition des armes, hébergement et évasion des aviateurs alliés, …
Le 23 février 1944, au retour d’une mission à Rennes, il est victime d’un accident de voiture et hospitalisé à Ploërmel. C’est à l’hopital que la Gestapo vient le chercher. Transféré à la prison de Vannes puis au fort de Penthièvre, il termine son parcours à Rennes, à la prison Marguerite. Torturé, il ne parle pas et est finalement fusillé à Saint Jacques de la Lande (à quelques kilomètres de Rennes) le 30 juin 1944. Le 4 août 1944, le VIIIème corps d’armée américain entrait dans Rennes !

Le nom d’Henri Calindre figure parmi les 117 noms du Monument de la Résistance au cimetière de l’Est à Rennes. On le retrouve également sur la stèle des fusillés de la Maltière à Saint Jacques de la Lande auprès de 78 compagnons d’infortune.
Il est fait chevalier de la Légion d’Honneur en 1950.

La municipalité de Ploërmel a créé une « rue Mystringue » dans le centre ville.

MYSTRINGUE

Parallèlement à ses fonctions de secrétaire de mairie, Henri Calindre écrit et se produit sur scène. Il anime les fêtes locales mais se déplace parfois plus loin. Ainsi l’affiche d’un spectacle organisé par l’Amicale parisienne des originaires de l’arrondissement de Ploërmel annonce (en neuvième position) « Mystringue, le spirituel diseur ploërmelais dans ses monologues en patois gallo ».

Les monologues …

Dans ses textes, Mystringue met en scène un couple de braves paysans qui ne parlent que le « patois ». Ses deux personnages découvrent la ville (Ploërmel, en l’occurence) et le progrès qu’ils ont parfois du mal à assimiler.

Ainsi le téléphone :

Creuyant entreu dans un’ cantine
V’la qu’dans la poste j’me fourris
Y’en avait y là des belles filles
Qui tapotint su des machines.
Un’d’elle dans un p’tit coin s’tenait
Huchant « à l’eau » dans un cornet.
Ben que j’me dis, reprends ta route
Retourn’ chez tê mon grand nigaud
V’la qu’elles veulent te fout’ à l’iau
Et pour nageu, t’y entends goutte.
Pour éviteu un pareil sort,
J’me sauvis et j’cours encore.

De même le cinéma (et là notre brave homme se met en tête d’apprendre les bonnes manières à sa femme Eugénie qui ne comprend pas vraiment le pourquoi du baise -main …) :

Tiens que j’ly dis, douce Eugénie
Cet’fê, c’est mê qui aie envie
De t’faire alleu au cinéma
Faut pas mourir avant d’ver ça
Y va falloir fair’ des manières
Et montreu à la sociéteu
Qu’on connait la civiliteu …
Un p’tit gâs nous dit : v’la vot’ piace
Merci que j’dis d’un air bonace …
J’tiris mon mouchoir à carreaux
J’torchis mon bê et mon musiau
Je baisis la main d’Eugénie
Dam, fallait ben faire le monsieu
Génie, si y’avait pas eu d’foule
M’aurait, sur, foutu su la goule !
« As’tour te v’la pir que not’chien
C’est’y qu’tu veux m’licheu la main ? »

Mystringue se laisse parfois aller à « philosopher » et l’actualité (ou le proche passé) lui donne l’occasion de quelques remarques acerbes :

Aut’fouê les hommes étints méchants
Y tint en guerre pendant cent ans
Ca se passait à la pépère
Mais dam’ ça n’en finissait guère.
As’tour, les homm’ tous fraternels
Quand y veulent vider lou querelles
Y s’tuent pus vite et de la sorte
Au bout de cinq ans … la guerre est morte !

Ils profite aussi de ses monologues pour épingler les petits nobles de la région qu’il observe aux fameuses courses de Ploërmel :

Marquis, Marquis, qui su lou chaises
Programme en mains, prennent lou z’aises
Et qui pass’ trois heures à d’viseu
Et trois aut’ à s’faire admireu …
Y’en avait-y là des monsieu
Qui avint l’air ben prétentieux
Des p’tits ferluquets à monoc’
Qu’étaient à pein’ sortis d’lou coque
Qui n’savint sur’ment pas comment
Distingueu un chouâ d’une jument !

Enfin, je citerai ce dernier extrait qui, compte tenu de sa fin tragique, a des accents prémonitoires :

Je n’os’ pu fourreu l’nez dehors
Tel un vieux loup dans sa tannière
Dedans ma maison je m’enterre
Je n’os’ pu fourreu l’nez dehors
De pour d’y rencontreu … la mort.
Ver’, as’tour ci, c’est passeu d’mode
D’mourir dans un lit …

Le théâtre…

Outre les monologues, Henri Calindre écrivit quelques pièces de théâtre qu’il interprétait avec ses amis : Maurice Eon, François Juhel, Françis Havard…

« Au bistrot », pièce en un acte, fut ainsi composée en août 1942 et présentée au public en septembre, à l’occasion d’une kermesse organisée pour aider les prisonniers de guerre. La saynète met en scène trois paysans et le patron du bistrot qui « commentent » l’actualité (les restrictions, en particulier) et les potins ploërmelais. Tout cela leur permet des jeux de mot sur les noms des habitants :

José : Qui qu’est l’homme le moins feuniant de Pieurmet ?

Pelo (au patron) : C’est terjous pas tê.

Mathaou : Nenna ! C’est not’vicaire, monsieur Boulo.

Le patron : Gros malin !

José : Et qui qu’est l’homme le pu dur de Pieurmet ?

Mathaou : Y n’sait pas ly.

Pelo : Ah ben, c’est monsieur Chayot !

Je précise, pour ceux qui ne connaissent pas bien le Gallo, qu’un « chayot » est une pierre (dure, comme il se doit).

Une autre pièce, « Monsieur le Président », raconte les mésaventures de nos trois compères face à la justice. Pour des raisons matrimoniales, Pelo a dénoncé José et son père Mathaou comme faisant du marché noir. Mais finalement, tout s’arrange … Mystringue en profite pour égratigner au passage les gens de justice : le président apparait comme un corrompu (le marché noir l’intéresse), son premier assesseur dort tout le temps du procès et le second se contente de répéter, mot pour mot, ce que dit le président.

Mathaou : Dis donc, Pelo : tu ly mettras ben dans sa dot à ta fille la cie des planchettes ?

Pelo : Ben sur et même le pré des quat’biques …

Mathaou : Alors, tope là : marcheu conclu !

José : Et j’t’invite à la noce, monsieur le président.

La président : A la noce … Evidemment, à l’heure actuelle, les noces ont de l’attrait en campagne : vous ne manquez ni de viande, ni de beurre, ni de boissons, tandis que nous en ville …

Mathaou : ver … tu m’condamnis à 300 Frs d’amende, décimes compris.

Le président : J’étais obligé, c’était le minimum !

Mathaou : Eh ben, si ça t’fait piaisi, j’te cède mon morceau de beurre pour 300 Frs, décimes compris !

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